Pi Ying Xi : Philippe Forest au sommet de son art
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Philippe Forest est romancier et essayiste. Si la plupart de ses textes sont hantés par la mort de sa fille – L’enfant éternel (Gallimard, 1997), Tous les enfants sauf un (Gallimard, 2007) – il a aussi écrit sur ses auteurs de prédilection, de James Joyce à Franz Kafka en passant par Albert Camus. Les quelques mois qu’il a passés au Japon lui ont déjà inspiré un roman, Sarinagara (Gallimard, 2004). Son dernier roman, Pi Ying Xi, tient autant de ce premier texte asiatique que du Chat de Schrödinger (Gallimard, 2013) – conte philosophique, roman quantique, fable littéraire et intime.
Pi Ying Xi s’ouvre sur une charmante invraisemblance. À la fin de son repas dans un restaurant asiatique du XIIIe arrondissement de Paris, le narrateur découvre dans un fortune cookie un étrange appel à l’aide : « Au secours ! Je suis prisonnière dans le quartier chinois. » Quelques pages plus tard, Philippe Forest s’amuse de cet élément déclencheur : « Je ne m’attends pas à ce que le lecteur prête foi à une pareille fiction – dont je lui concède sans mal à quel point elle est peu vraisemblable. »
Mais il n’en fallait pas plus à l’écrivain pour se lancer dans une enquête littéraire et intellectuelle qui le conduit en Chine – au milieu des souvenirs plus ou moins flous qu’il garde de ses nombreux voyages. Et c’est précisément de souvenirs dont il est question, de souvenirs et de voyages, de la mémoire qui trahit et qui invente, des choses qu’on oublie et qu’on oublie même avoir oublié, mais aussi de celles dont on se souvient justement parce qu’on croit, à tort ou à raison, ne pas s’en souvenir du tout.
Et chaque chose qui change le monde nous fait inévitablement songer que toutes les autres, avec soi, un jour ou l’autre, disparaîtront pareillement.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que le poétique pi ying xi, littéralement le « théâtre d’ombres », que les occidentaux appellent « ombres chinoises », déchaînent toute l’élégance et l’habilité de la pensée de Philippe Forest, son humour aussi subtil que décapant et sa plume d’une rare agilité. Superbe fable mélancolique, Pi Ying Xi démontre, s’il le fallait, le prodigieux savoir-faire de l’écrivain autant qu’elle explore l’idée que chacun d’entre nous, dans la nuit, cherche à retrouver l’ombre de ce qu’il a perdu.
Où que l’on vive, quelles que soient les épreuves que l’on a traversées et même quand de pareilles épreuves vous ont été épargnées, on ne manque jamais de bonnes raisons de dégringoler.
Quand Philippe Forest évoque ses propres romans, dans Pi Ying Xi, il écrit que « leur sujet, sans parler de leur prétendue difficulté, il faut le dire, exerce en général un effet plutôt dissuasif sur leurs possibles lecteurs ». Il serait pourtant dommage de se laisser dissuader. Certes, l’écriture de Philippe Forest est ambitieuse et exigeante. Mais pour reprendre la distinction chère à Roland Barthes entre les textes de plaisir et ceux de jouissance, Pi Ying Xi procure bien plus qu’un plaisir de lecture, et s’élève sans peine au rang des rares textes jouissifs.
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Pi Ying Xi, de Philippe Forest, Gallimard, 336 p., 21 €. En librairie le 13/01/2022.