Le registre ironique
Sommaire
Définition du registre ironique
Le registre ironique est un registre littéraire qui consiste à dénoncer des faits, des personnes, et parfois des sujets de société qui font polémique. Faire preuve d’ironie, c’est dire le contraire de ce que l’on pense. Le lecteur doit bien comprendre le contexte et donc distinguer le sens apparent de ce qui est dit ou écrit de son sens réel. Il doit être attentif à ce décalage pour ne pas commettre de contre-sens.
L’auteur a recours au registre ironique dans l’objectif de faire rire, comme le registre comique. Par le rire, l’ironie contribue à dénoncer, critiquer, voire même se moquer ou ridiculiser une personne ou un groupe, un mode de pensée, un comportement. Il est également considéré comme un procédé argumentatif se révélant assez efficace.
À la différence du registre comique, les écrits du registre ironique sont rédigés de façon à attirer l’attention du lecteur et le pousser à la réflexion.
Dans cet extrait du livre XV « De l’esclavage des nègres », issu de l’ouvrage « De l’esprit des lois », Montesquieu emploie l’ironie pour dénoncer les esclavagistes, en exposant des arguments de manière absurde.
Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais : Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique, pour s'en servir à défricher tant de terres.
Montesquieu, De l’Esprit des lois.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir. Il est si naturel de penser que c'est la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie, qui font les eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez les nations policées, est d'une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?
Procédés et thèmes du registre ironique
Ce registre permet d’aborder de nombreux thèmes sur un ton ironique, particulièrement les grands débats de la société et les mœurs qui font polémique. La liberté, les injustices sociales, les défauts humains, la guerre sont des sujets régulièrement traités de manière ironique.
L’ironie est souvent employée à l’oral, grâce à une intonation laissant paraître le fond de ses pensées. Plus difficile à analyser à l’écrit, elle se retrouve dans les pièces de théâtres, les poésies et les fables, les romans.
Le registre ironique, très répandu au XVIIIe siècle dans les textes philosophiques des Lumières, fait appel, comme chaque registre littéraire, à des procédés d’écriture qui lui sont propres. Découvrons comment le lecteur peut identifier un registre ironique.
Les figures de style dans le registre ironique
L’antiphrase, figure de style qui sous-entend le contraire de ce qui est dit, se retrouve majoritairement dans les textes ironiques. C’est l’une des composantes essentielles de l’ironie.
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Amplifier le discours avec des hyperboles mais aussi l’atténuer en utilisant des litotes fait partie des procédés de style du registre ironique.
Prenons comme exemple cette citation de Voltaire, extraite de ses Lettres philosophiques, construite avec une antiphrase.
La raison humaine est si peu capable de démontrer par elle-même l’immortalité de l’âme que la religion a été obligée de nous la révéler.
Voltaire, Lettres philosophiques, Lettre XIII sur M. Locke
Le décalage dans le registre ironique
On retrouve dans le registre ironique un écart ou un contraste entre ce qui est énoncé et le contexte réel. Des sous-entendus et des non-dits poussent le lecteur à déceler les messages d’ironie. Un sujet sérieux peut être abordé de manière légère ou inversement, avec un niveau de langue inadéquate.
Pour marquer l’ironie, l’auteur emploie des signes de ponctuation comme des guillemets pour citer des propos, des points de suspension ou points d’exclamation.
Un jour qu’il était venu nous voir à Paris après dîner en s’excusant d’être en habit, Françoise ayant, après son départ, dit tenir du cocher qu’il avait dîné « chez une princesse »,— « Oui, chez une princesse du demi-monde ! » avait répondu ma tante en haussant les épaules sans lever les yeux de sur son tricot, avec une ironie sereine.
Proust, Du côté de chez Swann
Exemples de textes issus du registre ironique
Quelques exemples d’autres textes appartenant au registre ironique :
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé ; il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler.
Voltaire, Candide ou l’Optimisme
On avait en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère, et deux Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard : on vint lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé, et l’autre pour l’avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil : huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito, et on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito de Candide étaient peints de flammes renversées, et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites. Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très-pathétique, suivi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume. Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable.
Lors d’une cérémonie, l’autodafé, durant laquelle les hérétiques sont condamnés au supplice du feu, Voltaire utilise l’ironie pour exprimer le contraire de ce qu’il pense et pour tourner en dérision cette terrible scène du bûcher. Contrairement à ce qu’il dit, « les sages du pays » ne sont pour lui ni raisonnables ni efficaces. Les cellules dans laquelle Candide et Pangloss attendent ne sont pas « des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil ». Un vocabulaire mélioratif sert à légitimer de manière ironique l’autodafé. Cette ironie vise à alimenter la critique du philosophe envers l’absurdité de cette cérémonie et l’Inquisition.
Il ne croit pas, ce geôlier, que j’aie à me plaindre de lui et de ses sous-geôliers. Il a raison. Ce serait mal à moi de me plaindre ; ils ont fait leur métier, ils m’ont bien gardé ; et puis ils ont été polis à l’arrivée et au départ. Ne dois-je pas être content ? Ce bon geôlier, avec son sourire bénin, ses paroles caressantes, son œil qui flatte et qui espionne, ses grosses et larges mains, c’est la prison incarnée, c’est Bicêtre qui s’est fait homme. Tout est prison autour de moi ; je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c’est de la prison en pierre ; cette porte, c’est de la prison en bois ; ces guichetiers, c’est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d’être horrible, complet, 129 indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie ; elle me couve, elle m’enlace de tous ses replis. Elle m’enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de geôlier. Ah ! misérable ! que vais-je devenir ? qu’estce qu’ils vont faire de moi ?
Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné
La tonalité ironique est au cœur de cette œuvre de Victor Hugo. Dans le passage ci-dessous, le narrateur emploie des antiphrases, métaphores et hyperboles qui contribuent à dénoncer avec ironie le comportement absurde des geôliers et la monstruosité de la prison de Bicêtre. Tout le système carcéral est critiqué au travers du registre ironique.
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