À bâtons rompus : définition et origine de l’expression
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Connaissez-vous l’expression « à bâtons rompus » ? Nous avons tous déjà vécu cette situation : revoir un ami d’enfance et se mettre à discuter de tout et de rien sous l’impulsion des retrouvailles, comme si l’on s’était quitté la veille. Lorsque vous vous remémorez cette rencontre, vous pourrez, en bon orateur que vous êtes, dire : « Diantre, nous avons parlé à bâtons rompus avec René l’autre soir ».
Et comme vous êtes aussi un fidèle lecteur de La langue française, vous saurez – après avoir lu cet article – la signification et l’origine de cette expression. Bonne lecture !
Définition de l’expression « à bâtons rompus »
L’expression « à bâtons rompus » est une locution adverbiale qui signifie « de manière discontinue, désordonnée ou désorganisée ».
L’expression s’applique désormais essentiellement aux champs de la discussion et du dialogue. On dira ainsi qu’on a eu une conversation « à bâtons rompus » lorsque cette dernière était sans fil directeur, familière ou informelle (par opposition par exemple à une discussion autour d’un seul et même sujet).
Origine de l’expression « à bâtons rompus »
L’origine exacte de l’expression est obscure. Certains la font remonter au Moyen Âge, où l’on faisait des tapisseries à « bâtons rompus », une technique de points de couchure (points de broderie) très répandue à l’époque, qui consiste à broder des motifs en forme de petits bâtons entremêlés.
Néanmoins, il n’existe aucune source prouvant que l’expression est née de cette tendance. Nous avons par ailleurs trouvé qu’il existait un type de parquet à « bâtons rompus », fait de lames de bois coupées à angle droit. « L’extrémité étroite de chacune d’elles repose sur l’extrémité d’une autre, et ainsi de suite, formant un V à 90° », nous explique le Centre de recherche sur la canne et le bâton. Dans ce cas aussi, il est difficile d’établir un lien entre le parquet et l’expression que nous utilisons. À la limite, nous pourrions imaginer que les motifs qui s’entrecroisent ont inspiré l’idée d’un enchaînement entrecoupé, saccadé ou encore non-linéaire.
Il n’en reste pas moins que le dictionnaire de Furetière, publié en 1701, valide la thèse de la tapisserie et en donne la définition suivante (à l’entrée « baston » dudit dictionnaire) :
On dit aussi, faire une chose à bâtons rompus, pour dire, après plusieurs reprises et interruptions, par une métaphore tirée des dessins semblables de tapisserie.
Antoine Furetière, Dictionnaire Universel, Tome 1
L’interprétation la plus probable nous vient du domaine militaire. Le Ministère des armées lui-même nous en donne l’explication :
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Celle-ci [l’expression « à bâtons rompus »] fait en effet allusion à une cadence de marche militaire réalisée au rythme des tambours. Le joueur réalisait deux coups de suite avec chaque baguette, provoquant à la fois une discontinuité de son et une saccade musicale. Ce rythme était également appelé « roulement à double coup ». Cette notion de saccade, de rupture, fut utilisée dans divers domaines tels que « faire une tapisserie à bâtons rompus » renvoyant aux motifs irréguliers ressemblant à des bâtons entrecroisés, « dormir à bâtons rompus » où le sommeil est coupé par des moments de réveil.
Le saviez-vous ? Ministère des armées
Pour ce qui est de dater exactement l’apparition de l’expression, la tâche est d’autant plus délicate. Dans les archives de la BnF, l’occurrence la plus reculée que l’on déniche se trouve dans un ouvrage de Rabelais, Pantagruel, publié en 1532 : « Tant lui déchiquete rois ses habillemens à bâtons rompus, que le grand Diole en attendroit i’ame damnée à là porte ». Ce qui n’exclut pas la théorie selon laquelle l’expression aurait été utilisée bien avant cette date sans pour autant avoir été couchée par écrit.
Pour aller plus loin : Le corps militaire nous a légué d’autres expressions que nous employons fréquemment – pour certaines – sans forcément être au courant de leur origine martiale. Parmi les plus utilisées, nous trouvons :
- Faire le mariole
- De but en blanc
- Battre la chamade
- Tirer au flanc
- Un rhum carabiné
- Avoir les cheveux en bataille
- Prendre la poudre d’escampette
- Au temps pour moi
Exemples d’usage de l’expression « à bâtons rompus »
Tout va bien ? Je fais signe que oui. Faites attention à ce qui se passe en face ; ils ont réglé leur tir sur notre tranchée. Ouvrez l’œil. Nous rallumons des cigarettes. La conversation reprend à bâtons rompus.
Charles Yale Harrison, Les Généraux meurent dans leur lit, traduction de l’anglais par M. Lemierre, Gallimard, 1933
Et quand ils croisent les vivants, c’est avec un petit sourire de franche supériorité. Car ils les prennent pour des morts. Et ils poursuivent paisiblement leur chemin tout en parlant à bâtons rompus.
Jules Supervielle, Oublieuse Mémoire, Gallimard, 1980
Ni Mémoires, ni chroniques, ni « confessions » donc, mais journal à bâtons rompus comme cela peut se dire d’une conversation, qui confère de la présence, donne de la voix à ce document publié ici dans son intégralité.
Michel Leiris, Journal (1922-1989), Collection Blanche, Gallimard, dans la Préface
Cette conversation se faisait, comme on dit familièrement, à bâtons rompus, à travers la partie et au milieu des appréciations que chacun se permettait […].
Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844
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