À l'article de la mort : définition et origine de l’expression
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Tout le monde connaît plus ou moins vaguement le sens de l’expression « à l’article de la mort » sans pour autant comprendre la relation qu’il peut y avoir entre un article et le fait de rendre l’âme. La grammaire française est certes complexe et surprenante mais, rassurez-vous, elle n’y est ici pour rien. Découvrez dans cet article les racines latines de cette expression. Bonne lecture !
Définition de l’expression « à l'article de la mort »
La locution adverbiale « à l’article de la mort » est aujourd’hui utilisée au sens propre pour parler de quelqu’un sur le point de mourir et, par extension, d’une personne à l’agonie. Il arrive que l’on en fasse usage de manière hyperbolique ou encore sur le ton ironique pour désigner le mal-être (physique ou psychologique) d’un quidam, même si sa vie n’est pas en danger. Dans une phrase, elle s’articule le plus souvent avec le verbe être (exemple : il est à l’article de la mort).
Avec le temps, cette expression est aussi devenue une façon de décrire l’état de délitement d’objets, et plus seulement de personnes. Au sens figuré elle servira donc à décrire une chose qui est sur le point de disparaître, comme dans l'exemple suivant :
L’affaire est entendue avec le tourisme de masse et la standardisation qu’il implique. Que le pourtour de la mer Méditerranée, par exemple, lieu de rendez-vous plébiscité par les touristes de la terre entière, agonise lentement, que sa muséification soit presque achevée, que Venise soit à l’article de la mort, que Barcelone cherche à réduire les bataillons de touristes, tout ceci est une évidence sur laquelle Christin ne s’attarde pas.
Jean-Pierre Tuquoi, Qu’il soit « éthique » ou de masse, le tourisme épuise le monde sur Reporterre.net
Origine de l’expression « à l'article de la mort »
L’expression « à l’article de la mort » puise ses origines dans la langue latine. Elle apparaît au cœur du XVIe siècle. Il faut savoir qu’à cette époque la langue latine est encore très répandue et qu’un grand nombre la parle couramment. Surtout dans le domaine religieux où elle a le statut de langue universelle de l’Église (c’est encore un peu le cas).
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette expression n’existait pas telle quelle dans la Rome antique. Dans les archives de la BnF, on en trouve une première occurrence sous sa forme latine dans un ouvrage religieux de droit canon datant de 1545, écrit par Pierre Rebuffi, jurisconsulte français : « [resignavit] in articulo mortis... ». Transposée en français par la suite, la phrase latine donnera notre fameux : « à l’article de la mort ». Toujours dans les archives de la BnF, on rencontre l'expression sous sa forme française dès 1555.
Issue du lexique ecclésiastique, cette expression était à l’origine employée pour qualifier les paroles et actions posées par une personne lorsqu’elle est sur son lit de mort, proche de la fin. Sur le plan juridique, les paroles prononcées par cette personne revêtaient une dimension toute particulière, car considérées comme non réfutables.
Pour bien comprendre le sens de la locution, il faut se pencher sur la signification de l’expression « in articulo ». En latin, le mot « articulo » est la forme déclinée à l’ablatif du mot « articulus ». Le Gaffiot en donne la traduction suivante : « articulation, jointure des os ; membre de phrase, partie, division… », et encore : « moment critique, décisif ». Enfin, dans le Codex Justinianus (Code de Justinien, recueil de constitutions impériales datant de 438), l’expression « in articulo » est rendue par le terme « immédiatement, sans délai ».
Ainsi, il nous faut noter que le sens que l’on donne aujourd’hui à cette expression est quelque peu éloigné du sens premier. De fait, elle est aujourd’hui le plus souvent employée pour parler des derniers moments d’une personne. Or, si l’on s’en tient au sens premier du terme « article », l’expression parle en réalité du moment très spécifique du dernier râle. En latin, « in articulo » est l’équivalent de l’expression « in extremis », désignant le tout dernier moment.
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Pour aller plus loin : L’expression est parfois (plus rarement) utilisée sous sa forme latine. Elle servira alors à conférer un effet de style au texte :
À cette heure où je résume ma vie avec le même calme et le même esprit de justice que si j'étais, avec la pleine possession de ma lucidité, in articulo mortis.
George Sand, Histoire de ma vie, 1855
Exemples d’usage de l’expression « à l'article de la mort »
On faisait tous les jours prendre des nouvelles de tant de gens à l'article de la mort, et dont les uns s'étaient rétablis tandis que d'autres avaient « succombé ».
Marcel Proust, Le Temps retrouvé, 1927
Cet homme, je l'ai détesté à un point. et pourtant, comme vous le savez sans doute, dès que j'ai appris qu'il était à l'article de la mort et qu'il voulait me revoir une dernière fois.
Yukio Mishima, La Musique, 1965
Il pouvait encore voir distinctement une petite image colorée dans la coquille de noix de sa tête la main blanche émaciée qui avait poussé vers lui la boîte sur la table d'acajou. Son père à l'article de la mort lui disant, de l'amertume dans la voix « Tu la vendras, Bruno, pauvre niais, et tu te feras royalement voler. »
Iris Murdoch, Le Rêve de Bruno, 1968
On serait venu lui annoncer que madame Numance épuisée d'amour était devenue folle ou à l'article de la mort que son premier sentiment aurait été une joie délirante.
Jean Giono, Les Âmes fortes