Avoir une tête de Turc : définition et origine de l’expression
Sommaire
Avis aux âmes sensibles (et très à cheval sur les discriminations à caractère ethnique) : l’expression « avoir une tête de Turc » s’inspire des stéréotypes turcs (vous vous en doutiez). Tous les pays ont leurs caractéristiques qui alimentent allègrement les clichés à leur encontre, ce n’est pas chose nouvelle. Mais ici, ces mêmes attributs – d’ordre vestimentaire – ont donné naissance à une expression peu flatteuse et, chose étonnante, toujours en vogue aujourd’hui.
Nous vous fournissons dans cet article les explications concernant les origines de l’expression (et nous présentons nos excuses par avance à nos lecteurs turcs). Bonne lecture !
Définition de l’expression « Avoir une tête de Turc »
Dire de quelqu’un qu’il a ou qu’il est une tête de Turc (les deux formules fonctionnent) revient à dire de lui qu’il est la cible privilégiée des moqueries, quolibets, voire méchancetés de tout un chacun. Par extension, la tête de Turc est aussi un bouc émissaire, celui désigné pour endosser la faute, et ses conséquences, sans pour autant être coupable.
Dans son Dictionnaire de la langue verte, Argots parisiens comparés, Alfred Delvau en donne la définition suivante :
Homme connu par ses mœurs timides et par son courage de lièvre, sur lequel on s’exerce à l’épigramme, à l’ironie, à l’impertinence, — et même à l’injure, — assuré qu’on est qu’il ne protestera pas, ne réclamera pas, et ne vous cassera pas les reins d’un coup de canne ou la tête d’un coup de pistolet. C’est une expression de l’argot des gens de lettres, qui l’ont empruntée aux saltimbanques.
Dictionnaire de la langue verte, Argots parisiens comparés, Dentu, Paris, 1867
Si nous utilisons la formule au sens figuré, sachez qu’elle désigne un objet avant d’exprimer un trait de caractère. En effet, cette locution nominale, aujourd’hui désuète, fait référence à un jeu de foire.
Origine de l’expression « Avoir une tête de Turc »
L’expression « être/avoir une tête de Turc » tire son origine d’un jeu de foire. Ce divertissement apparaît au XIXe siècle – et l’expression avec. Le TLFi en donne la définition suivante à l’entrée « turc » : « Dynamomètre sur lequel on essaie sa force, dans les foires, en frappant sur une partie représentant une tête coiffée d’un turban. »
Ainsi, c’est par analogie qu’est née l’expression. Le jeu de la « tête de Turc », aujourd’hui disparu des fêtes foraines, revient à notre jeu actuel des machines de boxe : on donne un coup de poing à une sorte de punching ball pour mesurer sa force. (N.B. pour les férus de technique : un dynamomètre est un objet qui permet de mesurer la force à l’aide d’un ressort.)
Nous en trouvons l’apparition dans certains écrits de l’époque notamment dans le journal Le Charivari (premier quotidien satirique illustré) :
Inscrivez vous au Parcours Expressions & Proverbes
Découvrez chaque mercredi la signification et l'origine d'une expression ou proverbe francophone.
En fait d’autres divertissements orientaux, on trouvera au Château-Rouge le tir à l’oiseau égyptien, le jeu de siam, et une grosse tête de Turc sur laquelle le vainqueur de Nézib viendra appliquer un énorme coup de poing pour essayer ses forces.
Le Charivari, 3 juin 1846
Mais une question subsiste : pourquoi cet acharnement sur les Turcs ? Xénophobie, souvenir des pays exotiques, rappel des croisades ? Les interprétations sont multiples. Ce qui est certain, c’est que le Turc alimente l’imaginaire européen en symbolisant l’exotisme oriental tout en cristallisant les peurs les plus fondamentales de l’époque : le Turc est considéré comme un non-croyant, barbare et particulièrement féroce au combat.
Pour aller plus loin : les habitants de la Turquie (qui semblent décidément exercer sur l’imaginaire français un pouvoir tout particulier) ont engendré d’autres expressions, plus flatteuses, comme « être fort comme un Turc », née bien avant l’expression « tête de Turc ».
Apparue au XVe siècle, après la prise de Constantinople par le sultan Mehmet II, cette expression illustre ce que nous disions plus haut, dans la mesure où elle alimente l’image que les Occidentaux se faisaient des Turcs. Par ailleurs, l’on disait aussi de quelqu’un qu’il était un « vrai Turc » lorsqu’il faisait montre de rudesse ; ou encore on traitait quelqu’un « à la turque » lorsque l’on avait recours à des manières peu courtoises ou violentes.
L’analyse de l’usage de l’expression « tête de turc » dans les textes publiés montre une popularité croissante au fil du XXe siècle :
Exemples d’usage de l’expression « Avoir une tête de Turc »
Un jour, dans je ne sais plus quel jardin public, il [Théophile Gautier] donna sur la « tête de Turc » un coup de poing qui marqua cinq cent vingt livres au dynamomètre. Bien souvent je l’ai entendu s’en vanter et dire : « C’est l’action de ma vie dont je suis le plus glorieux. »
Maxime Du Camp, Théophile Gautier, Hachette, Paris, 1890
Ce système est de commencer par se choisir, si notre écrivain se destine à la critique, une bonne tête de Turc, – j’entends une Bête noire, à tort ou à raison, devant l’opinion publique, soit qu’il s’agisse simplement d’un homme ridicule, soit qu’il s’agisse d’un homme taré.
Nadar, Mémoires du géant, 1864
Soit que Forcheville sentant que Saniette, son beau-frère, n’était pas en faveur chez eux, eût voulu le prendre comme tête de Turc et briller devant eux à ses dépens, soit qu’il eût été irrité par un mot maladroit que celui-ci venait de lui dire, et qui, d’ailleurs, passa inaperçu pour les assistants […]
Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913, Le Livre de Poche
Selon les jours et l’humeur, ils traitaient ceux qui n’avaient pas encore subi l’épreuve de la guerre comme des hommes de peine, des têtes de turc, ou des vaches à lait.
Jospeh Kessel, La Fontaine Médicis
K. savait bien de son côté qu’en cédant trop il se rendrait esclave et que l’instituteur le prendrait pour tête de Turc, mais il voulait pour le moment accepter patiemment dans certaines limites les caprices de l’instituteur car, bien que celui-ci, comme on venait de le voir, ne pût le congédier légalement, il pouvait cependant lui rendre la place intenable.
Franz Kafka, Le Château
Bonjour. Il me semble que vous omettez une dimension historique pour laquelle je n'ai malheureusement pas retrouvé ma source, mais qui me rend néanmoins absolument certain de ce que je vous propose.
Dans les périodes troubles de l'Empire Ottoman, et peut-être déjà avant cela, un émissaire qui apportait une mauvaise nouvelle se voyait souvent décapité. Le jeu de la tête de turc qui consistait à renverser des "têtes enturbannées" avec une autre tête ou une quille est né à cette époque et j'ai vu une gravure représentant cette macabre habitude. C'est cette source que je n'ai pas retrouvé. Ne pouvant donc prouver mon affirmation, il m'a tout de même paru important de vous la soumettre. D'autre part, concernant les Mille et une nuits, c'est de Perse que la majorité des contes sont issus, dont la capitale a été Bagdad, aujourd'hui en Irak. Bonne journée