Être le dindon de la farce : définition et origine de l’expression
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Ce n’est jamais très agréable d’être traité de dindon, mais dans le cadre de l'expression « être le dindon de la farce », c’est encore pire. Découvrez ici les origines déconcertantes de cette expression et son évolution au cours du temps. Bonne lecture !
Définition de l’expression « Être le dindon de la farce »
Cette locution nominale, tirée du lexique animal, signifie que quelqu’un s’est fait avoir, que ce dernier fait les frais d’une plaisanterie, qu’il est trompé et ridiculisé ou encore qu’il est victime d’une duperie tout en s’exposant aux rires du public.
Dans le même esprit, on retrouve les expressions suivantes :
- être un pigeon
- être l’arroseur-arrosé
- Gros-Jean comme devant (qui veut dire espérer de grands avantages ou s’être cru dans une brillante position, le tout en vain)
Origine de l’expression « Être le dindon de la farce »
Pour bien comprendre le sens de cette expression, il nous faut tout d’abord parler du dindon. Dans l’imaginaire collectif, le dindon a lui aussi une symbolique, loin d’être flatteuse. Ce gallinacé maladroit a souvent été moqué pour sa démarche disgracieuse et pour sa particularité d’avoir un cou rouge et une tête dégarnie de plume.
Ainsi, on utilise depuis longtemps la métaphore du dindon pour décrire un homme au caractère batailleur, lourd et stupide ou encore pour parler d’un homme dupe ou d’un cocu. (Bête, gourmand comme un dindon; sautiller, se gonfler, se rengorger comme un dindon; son allure balancée de dindon, TLFi). Par ailleurs, « faire la roue comme un dindon » est une expression qui signifie : se donner bêtement de l’importance.
La première apparition de l’expression remonterait à 1790, selon Fanny Vittecoq, dans la revue L’Actualité langagière (volume 8, numéro 4, 2012). Deux hypothèses s’offrent à nous quant à son explication, même si elles ne diffèrent pas entre elles en ce qui concerne le sens de « la farce », un genre théâtral aux caractéristiques quelque peu grossières qui constituait un intermède comique durant les spectacles. Ce genre remonterait à l’Antiquité (avec Aristophane) et aurait connu son heure de gloire durant le Moyen Âge.
Selon la première hypothèse, « être le dindon de la farce » fait référence à des comédies bouffonnes médiévales appelées les « Pères dindons » : parmi les personnages principaux de ces pièces, on trouvait souvent des pères de famille crédules bafoués par des fils irrespectueux. Ces pères ridicules victimes de leurs progénitures étaient donc appelés les « dindons de la farce ». Cependant cette hypothèse pose un problème d’anachronisme dans la mesure où les dindons tels que nous les connaissons aujourd’hui n’ont été rapportés du Mexique qu’au XVIe siècle…
Une seconde hypothèse, bien moins cocasse mais plus probable a été proposée par l’écrivain Claude Duneton. L’expression aurait pour origine un spectacle barbare et cruel très en vogue dans les foires parisiennes de 1739 à 1844 et appelé « Le ballet des dindons ». Le principe est le suivant : les volailles étaient placées sur une plaque métallique progressivement chauffée, ce qui obligeait les animaux à sauter pour ne pas se brûler les pattes. Le public riait alors de cette danse incongrue généralement au rythme d’une musique de plus en plus endiablée. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque les combats d’animaux étaient aussi très fréquents…
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Avec cette dernière explication, l’idée d’être la risée de tous est plus claire. Néanmoins, l’idée de se faire duper, elle, n’est pas tout à fait élucidée. Il suffit pour cela de pencher pour une troisième hypothèse : lorsqu’un dindon est consommé, il « se fait plumer », expression qui, prise dans son sens argotique signifie « se faire duper ». Le parallèle entre la farce (comédie) et la farce (qui sert de garniture au dindon) aurait été fait par la suite dans un but humoristique.
Pour aller plus loin : le dramaturge Georges Feydeau serait à l’origine de la popularisation de l’expression grâce à sa pièce Le Dindon, en 1896. Dans cette comédie, le personnage du malheureux dragueur Pontagnac est présenté comme le « dindon de la farce ».
Exemples d’usage de l’expression « Être le dindon de la farce ».
C'est encore ces gogos-là qui seront les dindons de la farce, comme dit Robert-Macaire.
Eugène Sue, Les Mystères de Paris, t. 8, 1842-43, p. 32
Voici ce que je crois : l’Autriche, cette fois, a été le dindon de la farce ; elle n’y est pas habituée et elle prendra sa revanche.
Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix, Hachette, 1901, tome 1, page 174
L’humour vient de ce que le roi, la reine et Danilo ne rient finalement pas de la même manière ni pour les mêmes raisons et que le roi reste à l’évidence le dindon de la farce.
Natacha Thiéry, Lubitsch, les voix du désir: les comédies américaines, 1932-1946, page 67, 2000
Ajoutez-y une viande pleine de flotte parce qu’elle a poussé trop vite et le dindon de la farce, c’est le consommateur. Joyeux Noël quand même !
Le Canard enchaîné du 26.12.2018, Qui veut la peau de la dinde ?
Il n’y a que les gens sans feu ni lieu, n’ayant rien à perdre, qui veulent des coups de fusil. Tu n’entends pas être le dindon de la farce, peut-être ! Reste donc chez toi, grande bête, dors bien, mange bien, gagne de l’argent, aie la conscience tranquille, dis-toi que la France se débarbouillera toute seule, si l’empire la tracasse.
Zola, Le Ventre de Paris
En vérité ce méfiant individu craignant que toute l'entreprise ne sombrât dans le ridicule préférait que Sartre soit le dindon de la farce plutôt que lui. Il en a été pour ses frais.
Simone de Beauvoir, Lettres à Nelson Algren
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