C'est l'hôpital qui se fout de la charité : définition et origine de l’expression
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Allons, il n’y a pas (trop) de honte à l’avouer : vous avez déjà entendu l’expression « C’est l’hôpital qui se fout de la charité » dans votre enfance sans en comprendre vraiment le sens. Et vous voilà désormais, jeune adulte, à la lancer à tout-va, mais perplexe, au fond, et terrifié que quelqu’un vous en demande le sens et l’origine. Heureusement pour vous, vous voici au bon endroit, au bon moment : nous vous expliquons tout dans cet article. Bonne lecture !
Définition de l’expression « C’est l’hôpital qui se fout de la charité »
La locution-phrase « c’est l’hôpital qui se fout de la charité » est une expression familière qui signifie qu’une personne fait preuve de mauvaise foi. Elle met en évidence le fait que quelqu’un puisse reprocher à son égal une faute dont il est lui-même coupable, ou encore un défaut qu’il possède lui aussi. Comme un voleur qui réprimande son complice en le traitant de « sale voleur ».
Par ailleurs, si l’on voulait être tout à fait correct, on écrirait l’expression en ajoutant une capitale au mot « charité », car il ne s’agit pas ici, contrairement à ce que l’on pourrait penser, d’une des vertus théologales, mais du nom d’un hôpital lyonnais.
L’expression existe aussi sous la forme plus polie de « l’hôpital qui se moque de la charité ». Il existe aussi quelques variantes (qui vous permettront de saisir plus facilement le sens de l’expression) : « l’hôpital qui se paie la tête de l’hospice » ou « l’hôpital qui se moque de l’infirmerie ».
Origine de l’expression « C’est l’hôpital qui se fout de la charité »
Afin de comprendre le sens de l’expression « c’est l’hôpital qui se fout de la charité », il nous faut dans un premier temps revenir sur le mot « charité ». En effet, dans le cadre de l’expression, il est peu probable qu’il revête le sens commun que nous lui donnons aujourd’hui, hérité de la religion chrétienne, c’est-à-dire l’amour désintéressé que l’on porte à son prochain (et à Dieu, donc). Néanmoins, le mot a été largement utilisé dans les institutions religieuses pour attribuer des noms à des établissements ou congrégations (comme les Sœurs de la Charité ou la confrérie de la Charité).
Dès le début du XIIe siècle, la « charité » a aussi désigné un établissement religieux où l’on s’occupait des plus pauvres et des plus nécessiteux, en d’autres termes : une sorte d’hôpital, un lieu où s’exerce la charité. Une autre interprétation inverserait les choses : les « Charités » auraient tiré leur nom des Frères et des Sœurs de la Charité qui s’en occupaient. « Grâce à cette métonymie, un Hôtel-Dieu (ancêtre de l’hôpital, ndlr) et une Charité devinrent, à cette époque, synonymes. C’est dire qu’il n’y avait aucune raison de préférer l’un à l’autre, tant dans le palmarès de la misère et de la mort, le nom de l’établissement n’y pouvait rien changer », explique Jean-Noël Fabiani, dans La Fabuleuse histoire de l’hôpital du Moyen Âge à nos jours (2021).
Mais il semble que ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que l’expression est utilisée dans le langage courant. Pour Alain Bouchet (Les Hospices civils de Lyon, 2002), elle aurait été inspirée par la rivalité historique entre deux établissements lyonnais : l’hospice de la Charité et l’Hôtel-Dieu, que l’on désignait couramment comme « l’Hôpital ». Néanmoins, selon d’autres sources (ma famille stéphanoise), l’histoire sur-citée aurait eu lieu à Saint-Etienne et aurait donc donné naissance à l’expression.
Pour aller plus loin : la langue française propose d’autres expressions – cependant beaucoup moins courantes – pour exprimer la même idée, qui suivent une construction semblable de comparaison et opposition entre deux réalités qui partagent certaines caractéristiques :
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- « C’est la pelle qui se moque du fourgon » (exemple : « J’admire la science des savants autant que l’innocence des enfants. Vous seul avez le droit de vous moquer des savants ; il est de règle, comme dit un vieux proverbe français, que la pelle se moque du fourgon. » R. Peyrefitte) ;
- « C’est le poêle qui se moque du chaudron » (exemple : « A propos, ça t’arrive souvent de te faire une pipe en guise de pause déjeuner ? Remarque, je te dis ça mais c’est la poêle qui se moque du chaudron. Parce ce que, en fait, moi non plus je ne crache pas sur une petite pipe bien bourrée à la mi-journée, je prétends même que ça met d’attaque pour l’après-midi ! » Pierre Lucas, Police des mœurs).
Exemples d’usage de l’expression « C’est l’hôpital qui se fout de la charité »
Si je t’écoute, tu dis que je crois mes buts et préoccupations plus élevés que les vôtres et là, je dis : c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité.
Sigolène Vinson, J’ai déserté le pays de l’enfance, 2011
L’image de la voiture de Breedlove, une ruine recouverte d’une épaisse couche de grasse poussière urbaine, passa dans l’esprit de Ben. C’était l’hôpital qui se fout de la charité, alors? observa-t-il. Les yeux de Daniels se braquèrent vers lui. Hein? Je veux dire que sa vieille Ford était pas très reluisante.
Thomas H. Cook, Les rues de feu
—Tu sais que ta conduite me fout la trouille, répondit Grace. Ou, pour être plus précis : ta conduite me terrorise et me glace le sang.
Peter James, Mort… ou presque, 2007
— Ah oui ? C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Tu conduis comme un pied. Comme une gonzesse.
A Puréesiana les murs ont des oreilles et rien n’est plus drôle que d’entendre les artistes se débiner les uns les autres dans les loges : c’est l’hôpital qui se moque de la charité.
L’Art lyrique et le music-hall (revue), 1896
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