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La substantifique moelle : définition et origine de l'expression

Il n’est aujourd’hui que les canidés, ou de rares et curieux amateurs d’une certaine viande, pour apprécier déguster la moelle des os. Pourtant, si l’on en croit l’expression « la substantifique moelle », nous devrions tous faire davantage attention à cette substance, peu attirante au premier abord. De toute évidence, pas au sens littéral. 

Si l’expression, que nous devons à Rabelais, est plus répandue que la « guerre picrocholine », elle aussi livrée par l’auteur pantagruélique, elle n’en est pas pour autant plus limpide. Nous vous en expliquons ici le sens et l’origine. Bonne lecture!

Définition de l’expression « la substantifique moelle »

La locution nominale « substantifique moelle » est employée au sens figuré pour désigner la meilleure partie que l’on peut tirer d’un enseignement, dans un premier temps, puis, par extension, la quintessence d’une chose, ce qu’elle a en elle de meilleur. L’expression est formée du terme « substantifique » (ce qui a rapport à la substance) et du mot « moelle », la partie « molle et grasse renfermée à l’intérieur d’un os ». Dans la première moitié du XIIe siècle, la « moelle » était déjà investie d’un sens figuratif pour qualifier la partie la plus profonde, ou la meilleure partie de quelque chose.

Si l’expression est d’abord utilisée dans un registre plaisantin, elle s’est popularisée au point de se substituer à certains mots du langage courant pour signifier ce qui fait l’essence profonde des choses. Associée au verbe « extraire », elle retrouve parfois un sens plus littéral, désignant ce qu’on peut matériellement tirer de quelque chose (la « substantifique moelle extraite du sel » pour parler de la fleur de sel par exemple).

Évolution historique de l’usage de l’expression « la substantifique moelle »

L’analyse des occurrences de « substantifique moelle » dans les textes publiés depuis deux siècles montre bien la popularité progressive de cette expression :

Source : Google Ngram

Origine de l’expression « la substantifique moelle »

C’est donc à Rabelais que nous devons l’association des termes et la naissance de l’expression « substantifique moelle ». Celui que l’on peut désigner comme le plus grand jongleur de mots de la littérature du XVIe siècle introduit l’expression dans le prologue de son roman Gargantua (publié en 1534, quelques années après Pantagruel, le premier volet des aventures généalogiques de ses géants).

Après avoir décrit la façon dont un chien est capable de se passionner pour son os afin d’en extraire la moelle, ce peu de matière « plus délicieux que le beaucoup d’autres produits, parce que la moelle et un aliment élaboré selon ce que la nature a de plus parfait », Rabelais, en philosophe de bon sens, fait un habile parallèle avec l’histoire qu’il s’apprête à nous livrer :

Il vous faut être sages pour humer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers à la poursuite et hardis à l’attaque. Puis, par une lecture attentive et une méditation assidue, rompre l’os et sucer la substantifique moelle.

Contrairement à la façon dont on a pu interpréter ce conseil, Rabelais ne cherche pas à convaincre son lecteur que son livre possède un sens caché moral. Mais il invite, en bon humaniste, son lecteur à saisir autant la forme que le fond sans pour autant s’arrêter sur le premier, et que d’un contenu qui peut paraître léger, on peut tirer une certaine délectation intellectuelle. Enfin, qu’il est possible de faire une lecture avisée d’un texte humoristique.

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Rabelais, qui avait en horreur les scolastiques qui s’éloignaient des textes pour en tirer des conclusions alambiquées, et qui avait à cœur de distraire son audience, invite ainsi le lecteur à ne pas juger trop vite un « livre par sa couverture » :

Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d’une tout autre valeur que ne le promettait la boite : c’est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre que le titre le prétendait.

Exemples d’usage de l’expression « la substantifique moelle »

Il faut bien vivre, n’est-ce pas ? Et de quoi vit-on ? je vous le demande. De l’air du temps bien sûr du moins en partie, dirai-je, et l’on en meurt aussi mais plus capitalement de cette substantifique moelle qu’est le fric.

Queneau, Zazie dans le métro, 1959

Benoîte a ce côté universitaire organisé qui sait à heure fixe extirper d’elle la substantifique moelle. Elle se passe des commandes et elle honore ses propres contrats.

Benoîte et Flora Groult, Journal à quatre mains, 1962

Richesse et diversité des propositions affichées sur le Mur de ce magnifique FSM même si on peut regretter le style télégraphique qui ne permet pas toujours de tirer la substantifique moelle d’une matière aussi profuse !

Collectif, 100 propositions du Forum social mondial, 2006
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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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