Tirer le diable par la queue : définition et origine de l’expression
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Il est grand temps de passer à confesse : pendant très longtemps, j’ai été persuadée que l’expression française « tirer le diable par la queue » signifiait chercher des noises, ou faire de la provocation, dépasser les bornes, comme l’expression « pousser le bouchon un peu trop loin », par exemple.
Cela doit venir d’un raccourci étrange fait par mon cerveau entre cette expression et les expressions « tirer sur la corde » ou « tirer sur la ficelle », qui signifient abuser de la patience de quelqu’un. Vous serez donc ravis d’apprendre que l’expression « tirer le diable par la queue » n’a rien à voir avec tout cela et renvoie à une situation bien plus pragmatique. Nous vous expliquons tout dans cet article. Bonne lecture !
Définition de l’expression « Tirer le diable par la queue ».
L’expression française « tirer le diable par la queue » est une locution verbale qui signifie que l’on se trouve dans une situation précaire, que l’on vit dans le dénuement matériel le plus total et qu’on ne parvient pas à « joindre les deux bouts », pour utiliser une expression équivalente. Selon le Cnrtl, cette expression familière renvoie au fait de « vivre dans la gêne, avec très peu de ressources ».
Le lexique français présente deux autres expressions similaires : « avoir la queue du diable dans sa poche » ou « avoir le diable dans sa bourse », qui signifie aussi être dans le besoin, être sans argent » (exemple : « Me voilà, à deux heures du matin, loin de chez moi, lâché par les rues, affamé, gelé, et la queue du diable dans ma poche. » – Alphonse Daudet, Trente ans de Paris, 1888). On trouve aussi l’expression suivante, quelque peu tombée dans l’oubli : « Il mangerait le diable et ses cornes », qui signifie être « affamé au point de manger n’importe quoi » (Cnrtl).
Origine de l’expression « Tirer le diable par la queue ».
On remarquera que dans l’expression « tirer le diable par la queue » et toutes les expressions dérivées précédemment citées, le diable est associé à l’idée de pauvreté et de précarité physique. Pour certains, il s’agit d’une image, celle d’un miséreux qui aurait recours au diable afin que ce dernier exauce ses faveurs et qui refuserait de « lâcher la queue » du diable tant qu’il n’aurait pas répondu à ses demandes.
Pour d’autres encore, plus pragmatiques, la queue du diable représenterait le cordon de la bourse, car on disait d’une bourse vide qu’elle contenait le diable. Nous vous renvoyons à l’expression « loger le diable/avoir le diable dans sa bourse », qui remonte à l’époque où les pièces de monnaie étaient estampillées d’une croix sur l’une des deux faces, qui protégerait donc du diable. L’expression a été popularisée par Jean de La Fontaine dans sa fable Le Trésor et les deux hommes : « Un Homme n’ayant plus ni crédit, ni ressource / Et logeant le Diable en sa bourse, / C’est-à-dire, n’y logeant rien… »).
Enfin, une troisième interprétation donnerait au terme « diable » une ancienne définition. En effet, le « diable » est aussi le nom d’un grand râteau dont les paysans se servaient pour récupérer ce qui restait dans les champs en temps de grande disette. Néanmoins, nous ne possédons pas assez de sources pour affirmer la véracité de cette théorie.
Bien que l’origine exacte de l’expression reste un mystère, nous pouvons affirmer avec certitude qu’elle est attestée dès le début du XVIIe siècle. À l’époque, l’expression revêt un sens légèrement différent, elle signifie davantage « travailler dur pour arriver à un certain résultat », comme le montre ce passage tiré d’une oeuvre datant du 1646-1647 :
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Mais, Monseigneur, voici la neuvième page que j’écris, j’ai tant tiré le Diable par la queue qu’enfin j’ai fait une lettre d’une assez bonne longueur.
Vincent Voiture, « Lettre à Monseigneur d’Avaux », Recueil des œuvres de monsieur de Voiture
Exemples d’usage de l’expression « Tirer le diable par la queue ».
Nous allons, en attendant, continuer à tirer le diable par la queue et nous aurons, dès la fin du mois, le plus grand mal à joindre les deux bouts.
George Duhamel, Le Notaire du Havre, 1933
Je n’ose laisser le lecteur sous cette pénible impression de détresse matérielle. […]. Mais on aurait tort de croire que nos orfèvres de la même époque fussent tous des indigents et tirassent le diable par la queue. Au contraire.
Gérard Morisset, « L’orfèvre François Chambellan », Le Bulletin des recherches historiques, 1945
Sa mère tire le diable par la queue, pour offrir à son fils des études coûteuses. Paul Cézanne se prend de sympathie pour ce garçon mal aimé, son cadet d’un an.
Bernard Fauconnier, Cézanne
Joseph se disait : Nous sommes le 27 du mois, et c’est un mois de trente et un jours; pendant quatre longs jours ils vont encore tirer le diable par la queue ; demain, ils n’auront peut-être plus suffisamment pour les lentilles.
Serge Bramly, Madame Satan, 1992
LUCIE
Jean Anouilh, Chers Zoiseaux
Tu t’en aperçois seulement ? Je sais, toi, tu adores tirer le diable par la queue. Cela te rappelle ta jeunesse, quand c’était la mode à Montparnasse.