George Sand (1804-1876) : vie et œuvre
« Comme un garçon, j'ai les cheveux longs », aurait pu chanter George Sand à la manière de Sylvie Vartan. Elle qui s’habillait comme un homme, fumait le cigare et avait emprunté un pseudonyme masculin, fut considérée pendant longtemps comme la caution féministe de l’histoire littéraire française – aux côtés de Colette notamment –, avant que d’autres grands noms de femmes de lettres ne soient dépoussiérés.
Née sous le nom d’Aurore Dupin, surnommée la « bonne dame de Nohant », elle compte parmi les écrivains les plus importants du XIXe siècle et parmi les plus prolifiques : son œuvre rassemble plus de 90 écrits (romans, contes, pièces de théâtre, articles politiques et, évidemment, une abondante correspondance). Elle fut reconnue par les grands romanciers de son temps, comme Honoré de Balzac ou Flaubert.
Femme moderne dans les années 1830, libre et libertine à ses heures perdues, muse romantique de la Troisième République, on a trop souvent limité George Sand à ses passions vécues avec Alfred de Musset ou Frédéric Chopin, en oubliant qu’elle éleva seule ses deux enfants et vécut de sa plume, tout en léguant à la postérité une oeuvre en dialogue avec son temps, préfigurant les combats contre les inégalités sociales et la pensée progressiste du XIXe siècle.
Qui est Georges Sand ?
Le 1er juillet 1804, dans le 3e arrondissement de Paris, Maurice Dupin de Francueil et Sophie-Victoire Delaborde mettent au monde la petite Aurore Dupin. Elle est, par son père, l'arrière-petite-fille du maréchal Maurice de Saxe. D’origine aristocratique par son père, populaire par sa mère (son grand-père était maître oiselier et vendait des serins et des chardonnerets sur les quais de Paris), la future George Sand sera marquée par cette double ascendance.
Dans son récit autobiographique Histoire de ma vie (1855), elle écrit :
On n'est pas seulement l'enfant de son père, on est aussi un peu, je crois, celui de sa mère. Il me semble même qu'on l'est davantage, et que nous tenons aux entrailles qui nous ont portés, de la façon la plus immédiate, la plus puissante, la plus sacrée. Or, si mon père était l'arrière-petit-fils d'Auguste II, roi de Pologne, et si, de ce côté, je me trouve d'une manière illégitime, mais fort réelle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII, il n'en est pas moins vrai que je tiens au peuple par le sang, d'une manière tout aussi intime et directe ; de plus, il n'y a point de bâtardise de ce côté-là.
À l’âge de quatre ans, le colonel Dupin, père d’Aurore, est tué au combat en tombant de cheval. Elle est alors confiée à sa grand-mère au domaine de Nohant, dans l’Indre. Plus tard, à partir de 1818, elle est envoyée à Paris, au couvent des Dames augustines anglaises, qui se chargent de son éducation. Elle en ressort à l’âge de seize ans avec un goût développé pour les grands auteurs (elle lit Virgile, Shakespeare, Chateaubriand et Rousseau).
En 1822 (elle a dix-huit ans), elle se marie avec Casimir Dudevant. Dans les années qui suivent, elle met au monde deux enfants : Maurice, en 1823 et Solange en 1828, puis s’installe avec sa famille à Nohant. Mais le désenchantement dû à la routine de la vie conjugale se fait rapidement sentir pour cette jeune fille au fort tempérament : en novembre 1830, à la suite d’une violente dispute, Aurore exige une séparation temporaire et obtient d’aller vivre et travailler à Paris, début 1831.
La naissance de « George Sand »
« À Paris, Mme Dudevant est morte. Mais Georges Sand est connu pour être un vigoureux gaillard », écrit Aurore Dudevant à l’une de ses amies le 7 juillet 1832. En effet, quelques semaines auparavant, en mai de la même année, Aurore Dudevant a publié sa toute première œuvre, signée Georges Sand (elle écrira son prénom avec un « s » durant un certain temps), Indiana. Ce roman est un succès et la propulse dans le cercle des auteurs à la mode.
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Commence alors une vie radicalement en opposition avec l’image de la femme mariée de l’époque : elle s’habille de temps à autre comme un homme, adopte leurs manières, vit de nombreuses aventures amoureuses et devient journaliste pour gagner sa vie. Au cours de sa carrière, elle collabore avec le Figaro, par l’entremise de Balzac, ainsi qu’à la Revue des deux mondes, dont elle deviendra l’une des plus ardentes auteures. Puis elle confirme son engagement pour les classes populaires en participant activement au Bulletin de la République (elle prend une part active à la Révolution de 1848 avec ces textes), avant de fonder son propre journal La Cause du peuple (trois numéros).
Les années 1830 et 1840 sont les plus prolifiques de sa vie d’auteure parisienne. Elle noue rapidement des liens d’amitié durable avec les figures de la scène romantique, que sont Sainte-Beuve, Delacroix ou Marie Dorval. Elle enchaîne aussi la publication de romans et nouvelles : des récits de femmes passionnées et libres qui mettent en avant les inégalités sociales entre les hommes et les femmes, notamment dans le mariage (Valentine, Lélia, Leone, Leoni, etc.), de la littérature champêtre (Lettres d’un voyageur, François le Champi, La Petite Fadette, La Mare au diable) et des textes plus politiques et engagés (Les Compagnons du Tour de France, en 1840).
Après ses passions amoureuses, dont les plus connues furent celles entretenues avec Alfred de Musset (leur correspondance est restée célèbre) ou Frédéric Chopin, George Sand quitte Paris au début des années 1850 pour se retirer dans son domaine de Nohant. Pour des raisons financières, elle se met à écrire pour le théâtre. Elle entreprend de rédiger sa biographie, de 1845 à 1855.
Dans les dernières années de sa vie, à partir de 1865, elle entreprend une relation épistolaire avec Flaubert. Elle l’appelle « Mon troubadour » et lui « Chère Maître ». Elle continue d’écrire (par contrat, elle doit produire deux à trois romans par an), mais une occlusion intestinale met fin à ses jours le 8 juin 1876. À son enterrement, Victor Hugo a ce mot pour elle : « Je pleure une morte et je salue une immortelle ».
Libre, irrévérencieuse et critiquée
George Sand, la femme ou l’écrivain, a reçu un grand nombre de critiques de son temps, souvent dégradantes, et de la part d’éminentes figures littéraires. Considérée comme légère, libertine, sans talent ou encore vulgaire, elle fut la bête noire de toute une frange de la bonne société des écrivains, dont la majorité masculine voyait d’un mauvais oeil l’apparition d’une femme dans leur cercle.
Si Chateaubriand reconnaît le talent de Sand, il fustige pourtant la « corruption » et la « dépravation » dans lesquelles viennent puiser ses ouvrages, ce qu’il considère comme une insulte à la morale. Maurras rejoint l’opinion de Chateaubriand, considérant que la relation instable qu’elle vécut avec Musset témoignait d’une âme trop influencée par les dérèglements du romantisme.
D’autres ont été bien plus virulents dans leurs accusations. C’est par exemple le cas de Baudelaire qui, dans Mon cœur mis à nu (1897) juge qu’elle « n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois. Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde ; elle a dans les idées morales la même profondeur de jugement et la même délicatesse de sentiment que les concierges et les filles entretenues ».
Trop « femme » pour les hommes, elle ne l’est pas assez pour les femmes de son temps : Virginia Woolf, éminente auteure britannique, critique son choix d’adopter une attitude et un nom masculin (tout comme l’auteure britannique George Eliot).
Il serait pourtant injuste de ne relayer que les mots négatifs laissés par ses contemporains. On peut ainsi citer Alfred de Vigny, dont la maîtresse, Marie Dorval, entretenait une relation intime avec Sand. Dans son Journal d’un poète, il parle de Sand comme d’une femme qui « paraît avoir vingt-cinq ans ».
Il continue : « Son aspect est celui de la Judith célèbre du musée. Ses cheveux noirs et bouclés, et tombant sur son col, à la façon des anges de Raphaël. Ses yeux sont grands et noirs, formés comme les yeux modèles des mystiques et des plus magnifiques têtes italiennes. Sa figure sévère est immobile. Le bas du visage peu agréable, la bouche mal faite. Sans grâce dans le maintien, rude dans le parler. Homme dans la tournure, le langage, le son de la voix et la hardiesse des propos ».
L’œuvre de Georges Sand
L'œuvre de George Sand est marquée par la critique d’une société bourgeoise et corsetée par ses héritages aristocratiques à laquelle elle oppose une vision plus simple incarnée par la nature, la campagne et le monde paysan. Le roman est le genre qu’elle a le plus pratiqué, elle en rédige quatre-vingts au long de sa vie. À ses yeux, l’expérience du roman est ce qui lui permet de comprendre le monde, comme elle le partage dans Histoire de ma vie : « Il me fallait un monde de fictions, et je n’avais jamais cessé de m’en créer un que je portais partout avec moi […]. Toute ma vie j’avais eu un roman en train dans la cervelle, auquel j’ajoutais un chapitre plus ou moins long aussitôt que je me trouvais seule ».
Les premiers romans de George Sand démontrent déjà son attrait pour des héroïnes féminines, que l’on retrouve tout au long de sa carrière : Indiana, Valentine, Lélia, La Petite Fadette, Solange-Edmonde – dans Mauprat, roman publié en 1837 – Consuelo, etc.). On y lit ses revendications féministes et sa révolte contre les préjugés sociaux, le tout pétri d’un certain romantisme. On ne peut s’empêcher, dans la critique qu’elle fait du mariage, d’y déceler certains parallèles avec sa propre vie, bien qu’elle s’en soit défendue dans la préface de son roman Indiana :
J’ai écrit Indiana durant l’automne de 1831. C’est mon premier roman ; je l’ai fait sans aucun plan, sans aucune théorie d’art ou de philosophie dans l’esprit. J’étais dans l’âge où l’on écrit avec ses instincts et où la réflexion ne nous sert qu’à nous confirmer dans nos tendances naturelles. On voulut y voir un plaidoyer bien prémédité contre le mariage. Je n’en cherchais pas si long, et je fus étonné au dernier point de toutes les belles choses que la critique trouva à dire sur mes intentions subversives.
Une auteure engagée
À partir de 1840 approximativement, ses œuvres prendront un tournant politique ou mystique. Elle y défend le peuple et y critique parfois l’Eglise. Dans Mademoiselle La Quintinie (1863), elle expose ses idées anticléricales, dans Cadio (1867), elle s’attaque à la violence de l’histoire. Au sujet de la religion, elle écrit, au cours de ses correspondances : « Je regarde la doctrine catholique comme une lettre morte, qui s'est placée comme un frein politique au-dessous des trônes et au-dessus des peuples ».
Dans un de ses derniers grands romans, Nanon, publié en 1872, « c’est toute la pensée politique et sociale de George Sand qui s’exprime en une grande synthèse romanesque et utopique réaffirmant, après les épreuves de la guerre et de la Commune, sa foi en une unité nationale et en l’avènement d’une société plus juste ». Son contemporain, le poète Gustave Kahn, salue George Sand en la comparant à « ce grand lac tranquille où se mirèrent tant de reflets, traduisit les idées de Pierre Leroux ; l’intention du roman social et du roman socialiste exista chez elle, après qu’elle eut terminé sa série de romans féministes ».
Malgré ses divers engagements, George Sand n’a jamais oublié l’aspect champêtre qui lui plaisait tant dans ses romans. La seconde partie de sa vie est ainsi majoritairement consacrée à des récits plus bucoliques et régionalistes. Dans La Mare au diable (1846), François le Champi (1848), La Petite Fadette (1849) ou Les Maîtres sonneurs (1853), George Sand s’intéresse davantage au monde paysan du XIXe siècle. La Mare au diable, rédigé en quatre jours, est certainement le plus emblématique de ses romans dans ce genre : elle y décrit les traditions du Berry et y déploie plusieurs aspects importants de son profil d’écrivain social et romantique.
Pour aller plus loin : Nous vous conseillons de visiter le Musée de la vie romantique, situé dans le quartier parisien de la « Nouvelle Athènes », dans le 17e, où est notamment exposé le portrait le plus connu de George Sand, peint entre 1837 et 1839 par Auguste Charpentier.