Honoré de Balzac (1799-1850) : vie et oeuvre
« Je vous défie de faire deux pas dans Paris sans rencontrer des manigances infernales ». L’auteur de cet avertissement, nous le connaissons bien, il s’agit d’Eugène de Rastignac, héros arriviste introduit dans La Peau de chagrin et que l’on retrouve aussi dans le Père Goriot. Ce personnage, dont le nom, par antonomase, est aujourd’hui utilisé pour qualifier un « jeune loup aux dents longues », est avant tout le double de son auteur, Honoré de Balzac. Observateur d’une classe bourgeoise qui se rêve aristocrate, de ses codes et de son langage, Balzac fait du Paris du début du XIXe le théâtre de ses récits, et de ces protagonistes pétris d’ambition la clef de ses romans.
Avant d’être consacré par l’histoire littéraire comme le père du réalisme à l’époque où le romantisme est en plein essor et dans un Paris agité par les remous de la Restauration, Honoré de Balzac a eu vingt ans et s’est lui aussi laissé habiter par l’ambition. Au cœur du Marais – il s’installe au cours des années 1810 dans une mansarde qui deviendra un topos récurrent de ses romans – Honoré de Balzac sillonne les rues, s’en va observer les viveurs sous les arcades du Palais royal et passe ses journées à la bibliothèque de l'Arsenal ou ses nuits dans sa turne à gratter le papier. Le résultat ? Le travail monumental d’une vie, 90 textes rassemblés sous un titre : La Comédie humaine.
Victor Hugo, aux funérailles de l’auteur, le 29 août 1850, rend hommage à son oeuvre :
Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poète a intitulé comédie et qu’il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu’à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu’à Rabelais ; livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moment, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.
Qui est Honoré de Balzac ?
Honoré Balzac naît à Tours le 20 mai 1799. Son père, Bernard-François Balzac, d’origine paysanne, a vu sa famille évoluer avant la Révolution et se classer parmi les bourgeois, à la fois nantis et toujours en quête de nouvelles richesses. En 1802, il fait accoler une particule à son nom de famille. Les origines tourangelles de Balzac, contrairement aux fibres bretonnes de Chateaubriand, orléanaises de Péguy ou lorraines de Barrès, ne sont dues qu’à un hasard de circonstances. Néanmoins, il reste toute sa vie durant marqué par ses origines provinciales et son enracinement est davantage social et politique que terrien.
Le jeune Honoré fait ses études au collège des oratoriens de Vendôme de 1807 à 1913. Durant les six années qu’il y passe sans jamais rentrer chez lui, pas même pour les vacances, il se passionne maladivement pour la lecture, habité par « une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir […] son œil embrassait sept à huit lignes d'un coup et son esprit en appréciait le sens avec une vélocité pareille à celle de son esprit » (André Maurois, Prométhée ou la vie de Balzac, 1965).
La découverte de Paris
En 1813, Balzac est envoyé à Paris, à l’institution Ganser et découvre l’Université : il y suit les cours de Villemain, Guizot, Cousin, écoute Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire… Matérialiste endurci sans pour autant verser dans les théories sensualistes, disciple de Locke, il se veut d’abord philosophe. On retrouve dans l’écriture de Balzac cette dévotion à la corrélation entre la philosophie de l’aventure humaine et son explication par le biais du visible et du physique, donnant naissance à un matérialisme descriptif et explicatif.
Après avoir fait quelques années d’études de droit (1816-1819), Balzac se révolte contre la volonté de sa famille qui le destine au métier de notable et décide de gagner son pain en se dévouant à la composition d’une œuvre littéraire. En 1819, il s’essaie à la tragédie (Scylla, Cromwell), puis, entre 1820 et 1825, se lance dans l’écriture de plusieurs romans de jeunesse sous pseudonyme (lord R’Hoone, Horace de Saint-Aubin).
Sorte d’écrivain mercenaire, il fait alors connaissance avec l’envers de la société libérale, du monde difficile des éditeurs, imprimeurs, petits journaux et le pénible parcours de ceux qui ont le talent sans le sou. En 1826, Honoré de Balzac devient imprimeur, mais fait faillite à peine deux ans après le lancement de l’opération. Il contracte de lourdes dettes et seul un prêt de sa mère lui permet de survivre. Ne reste plus qu’à l’auteur sans reconnaissance et sans fortune de reprendre la plume.
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Le maître du réalisme
En 1829, il connaît un certain retentissement littéraire avec la publication du Dernier Chouan, roman signé M. Honoré Balzac (à partir de 1830, il change de signature pour « de Balzac »). Le jeune auteur se met alors à fréquenter les salons en vogue et les milieux de la presse, devient l’ami de Latouche et fait la connaissance de Stendhal.
Ses deux romans suivants, La Peau de chagrin, publié en août 1831 et Eugénie Grandet, en décembre 1833, marquent le lancement de sa carrière d’écrivain. Entretemps, Balzac vit sa grande conversion politique et philosophique en faveur d’un royalisme moderne et fonctionnel. En parallèle, l’écrivain devient une figure incontournable du nouveau Paris, gagne de fortes sommes d'argent qu’il dépense sans compter.
L’année 1834 marque la consécration de Balzac sur la scène littéraire parisienne. Pour la Revue de Paris, il écrit le Père Goriot, dans lequel il mêle les tableaux de la vie privée à ceux de la vie parisienne.
La publication en 1835 du Lys dans la vallée, puis en 1837-1843 des Illusions perdues, parachèvent le sacre de Balzac en tant que maître du réalisme. L’auteur emploie les années qui suivent à l’élaboration de La Comédie humaine. Cet ensemble de plus de 2000 personnages gangrénés par le fantasme de l’agent, de la presse et de la passion dévorante, forme une fresque de la société française, depuis la Révolution (1789), à la fin de la monarchie de Juillet (1830-1848). Sur les 137 titres prévus, Balzac n’en complète que 90.
Le 14 mars 1850, Balzac épouse Madame Hanska, jeune femme issue de la noblesse polonaise avec laquelle il initie une relation épistolaire dès 1832 et qu’il rencontre pour la première fois en 1833. L’écrivain Gonzague de Saint-Brie décrit ainsi leur relation : « Dix-huit ans d'amour, seize ans d'attente, deux ans de bonheur et six mois de mariage ». Balzac, travailleur acharné capable d’écrire vingt heures par jour sans discontinuer, meurt d'épuisement le 18 août 1850. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise où Victor Hugo prononce son éloge funèbre.
L’œuvre de Balzac
La Comédie humaine fut la fresque de sa vie. Sous ce titre, celui que l’on a surnommé le « Napoléon des Lettres » a rassemblé 90 ouvrages (romans, nouvelles, contes et essais) écrits en une vingtaine d’années. Ses œuvres principales sont les suivantes :
- La Peau de chagrin (1831)
- Eugénie Grandet (1833)
- Le Père Goriot (1834-1835)
- Le Lys dans la vallée (1835)
- Les Illusions perdues (1837-1843)
Chef de fil du réalisme, Balzac a aussi introduit dans ses romans, notamment avec le Père Goriot, dans lequel on retrouve le Rastignac de La Peau de chagrin (dans le Père Goriot, Rastignac vient à peine d’arriver à Paris, l’action est antérieure à celle de La Peau de chagrin), le système du retour des personnages.
Ce procédé littéraire lui permet d’une part de donner une unité à son œuvre, d’autre part de lui éviter la nécessité d’une conclusion systématique. Pour preuve, la dernière phrase du Père Goriot, lancée par Rastignac, qui annonce une suite : « Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : — À nous deux maintenant ! »
Les ambitions de Balzac
La Comédie humaine se centre sur l’évolution de personnages – souvent venus de province – happés par l’ambition et de désir d’intégrer les hautes classes de la bourgeoisie et ce qu’il reste de l’aristocratie restaurée.
Par le biais d’une écriture attachée au réalisme, à la nécessité d’une rigueur dans la description des lieux, dans la peinture de la nature humaine ou dans le respect du contexte historique, Balzac explore autant les aspirations grandioses et les éclats d’idéalisme que la misère et la fange que l’on trouve à l’envers du décor.
De ses longues heures de promenade au Palais-Royal, lieu de tous les possibles, où se fréquentaient (de façon verticale, des caves aux plus hauts étages) les follieuses et les nantis, les hommes de presse et les joueurs de cartes, Balzac a tiré des protagonistes plus vrais que nature.
Ses personnages, gonflés d’espoir ou désabusés, bercés d’illusion ou livrés à la passion (Raphaël de Valentin, Eugène de Rastignac ou Lucien de Rubempré) sont aussi des doubles de l’auteur. C’est par exemple le cas en ce qui concerne l’expérience de la passion destructrice : Balzac s’est épris de la marquise de Castries dont il n'obtiendra pas les faveurs en fin de compte.
C’est aussi le cas en ce qui concerne l’apprentissage des codes bien précis de la haute société : en témoigne le ridicule dont se couvre son personnage de Lucien de Rubempré par son incapacité à faire bonne impression lors de son introduction au théâtre, lieu des apparences par excellence, dans les Illusions perdues. L’expérience de Balzac transparait jusque dans les décors de ses romans. Ainsi, sa petite mansarde de ses débuts (rue Lesdiguières dans le 4e arrondissement de Paris), une turne « aux murs jaunes et sales, qui sentait la misère et appelait son savant. » (La Peau de chagrin)
Aujourd’hui, de la même façon qu’il existe un roman stendhalien, il est possible de définir ce qu’est un roman balzacien. Au point que cette définition du roman est devenue, par la suite, une façon de mesurer l’évolution du genre (qu’il s’agisse de Zola, Proust, Joyce, Kafka…).
« Hardiment novateur à son époque (ce qu’oublient ses épigones attardés qui, un siècle et demi plus tard, le proposent en exemple), soutenu par un certain "emportement de l’écriture" et une certaine démesure qui le haussaient au-delà de ses intentions, le roman balzacien a ensuite dégénéré pour donner naissance à des œuvres qui n’en ont retenu que l’esprit purement démonstratif », déclare Claude Simon en 1886 dans son Discours de Stockholm.
Les idées de Balzac
Tout au long des romans de Balzac, notamment à travers son analyse de l’échec dans l’ascension sociale ou la conquête amoureuse, on découvre aussi un Balzac politique et religieux.
Il n’a jamais été ni tout à fait révolutionnaire, ni tout à fait légitimiste, à la fois écoeuré et fasciné par une classe bourgeoise motivée par une lutte effrénée pour la liberté.
D’abord taxé d’anarchiste, Balzac a ensuite plutôt penché pour le royalisme : « J’écris à la lueur de deux vérités éternelles : la religion, la monarchie, deux nécessités que les événements contemporains proclament, et vers lesquelles tout écrivain de bon sens doit essayer de ramener notre pays », confie l’auteur dans l’avant-propos de La Comédie humaine.
C’est aussi la raison pour laquelle Balzac a opté pour une littérature populaire, faite tant de contes (les « contes drolatique ») que de romans dont le but a été de peindre des scènes de la vie parisienne, vie privée, vie de campagne, etc. : « Il faut d’abord et avant tout que la littérature soit amusante et utile, affirme l’auteur [...] Il faut l’autorité́ des grands noms littéraires ; il faut la coopération des jeunes écrivains qui s’avancent avec tant d’espoir et d’ardeur ; il faut l’approbation et l’aide de ceux-là̀ qui se sont retirés de la lice, après l’avoir traversée glorieusement. »
>> Pour aller plus loin :
Entraînez-vous avec cette dictée tirée du roman La peau de chagrin de Balzac !