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Le registre pathétique

Définition du registre pathétique

Le registre pathétique est un registre littéraire qui consiste à susciter chez le lecteur ou le spectateur un sentiment de compassion devant des situations douloureuses ou des évènements bouleversants. Il faut savoir que le terme « pathétique » provient du grec pathêtikos, relatif à la souffrance. Il signifie donc « susceptible d’émouvoir par la souffrance ».

Les récits pathétiques mettent en scène des personnages innocents et sans défense, victimes de leur sort, qui doivent faire face à leur destin malheureux. Ils évoluent dans un contexte difficile, entraînant souffrance et peine. Le lecteur, en s’identifiant aux personnages et à l’histoire, est envahi par une émotion vive.

La tonalité pathétique employée pour décrire Cosette, dans le roman Les Misérables, ne peut qu’attendrir le lecteur, qui ressent énormément de pitié sur les conditions de vie de la petite fille.

Cosette était laide. Heureuse, elle eût peut- être été jolie. Nous avons déjà esquissé cette petite figure sombre. Cosette était maigre et blême ; elle avait près de huit ans, on lui en eût donné à peine six. Ses grands yeux enfoncés dans une sorte d'ombre étaient presque éteints à force d'avoir pleuré. Les coins de sa bouche avaient cette courbe de l'angoisse habituelle, qu'on observe chez les condamnés et chez les malades désespérés. Ses mains étaient, comme sa mère l'avait deviné, "perdues d'engelures". Le feu qui l'éclairait en ce moment faisait saillir les angles de ses os et rendait sa maigreur affreusement visible. Comme elle grelottait toujours, elle avait pris l'habitude de serrer ses deux genoux l'un contre l'autre. Tout son vêtement n'était qu'un haillon qui eût fait pitié l'été et qui faisait horreur l'hiver. Elle n'avait sur elle que de la toile trouée ; pas un chiffon de laine. On voyait sa peau çà et là, et l'on y distinguait partout des taches bleues ou noires qui indiquaient les endroits où la Thénardier l'avait touchée. Ses jambes nues étaient rouges et grêles. Le creux de ses clavicules était à faire pleurer. Toute la personne de cette enfant, son allure, son attitude, le son de sa voix, ses intervalles entre un mot et l'autre, son regard, son silence, son moindre geste, exprimaient et traduisaient une seule idée : la crainte.

Victor Hugo, Les Misérables

Couramment employée en littérature, le registre pathétique se retrouve dans les romans, les pièces de théâtre tragiques et de nombreux poèmes. Citons comme exemple le caractère pathétique de Il pleure dans mon cœur, poème de Paul Verlaine, d’une tristesse abolue.

Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s’ennuie,
Ô le chant de la pluie !

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.


C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine !

Paul Verlaine, Il pleure dans mon cœur

Procédés et thèmes du registre pathétique

Le registre pathétique est utilisé pour évoquer des situations douloureuses d’une personne ou d’un groupe : le deuil, la maladie, la dépression, la mort, l’injustice, la séparation, la pauvreté, la misère, les conditions de vie déplorables. La tristesse et la pitié, provoquées par ces situations difficiles, sont des sentiments qui dominent dans les récits appartenant au registre pathétique.

Afin de que le lecteur soit affecté par l’histoire, l’auteur emploie des procédés d’écriture propres à ce registre.

L’expression de la tristesse dans le registre pathétique

De longues descriptions précises et détaillées, avec un vocabulaire appartenant au champ lexical de la souffrance, du désespoir, du regret, de la nostalgie ou de la misère, soulignent la souffrance physique ou émotionnelle d’un et ou des personnages. Ces éléments, remplis de connotations affectives,  poussent le lecteur ou l’auditoire à éprouver de la compassion à l’égard de leur héros pathétique, duquel ils se sentent proches.

Le texte qui suit, extrait de L’Assommoir, détaille la souffrance de la petite Lali, son corps brisé qui subit les coups de son père alcoolique. 

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Gervaise, cependant, se retenait pour ne pas éclater en sanglots. Elle tendait les mains, avec le désir de soulager l’enfant ; et, comme le lambeau de drap glissait, elle voulut le rabattre et arranger le lit. Alors, le pauvre petit corps de la mourante apparut. Ah ! Seigneur ! quelle misère et quelle pitié ! Les pierres auraient pleuré. Lalie était toute nue, un reste de camisole aux épaules en guise de chemise ; oui, toute nue, et d’une nudité saignante et douloureuse de martyre. Elle n’avait plus de chair, les os trouaient la peau. Sur les côtes, de minces zébrures violettes descendaient jusqu’aux cuisses, les cinglements du fouet imprimés là tout vifs. Une tache livide cerclait le bras gauche, comme si la mâchoire d’un étau avait broyé ce membre si tendre, pas plus gros qu’une allumette. La jambe droite montrait une déchirure mal fermée, quelque mauvais coup rouvert chaque matin en trottant pour faire le ménage. Des pieds à la tête, elle n’était qu’un noir. Oh ! ce massacre de l’enfance, ces lourdes pattes d’homme écrasant cet amour de quiqui, cette abomination de tant de faiblesse râlant sous une pareille croix ! On adore dans les églises des saintes fouettées dont la nudité est moins pure.

Émile Zola, L’Assommoir

Les figures de style et dans le registre pathétique

Des figures de l’exagération, comme l’hyperbole, l’anaphore ou la gradation, accentuent le sentiment de compassion du lecteur. Effet renforcé par la succession de phrases exclamatives et interrogatives, d’apostrophes, rendant le lecteur encore plus sensible.

Il n’est pas rare de voir le héros se plaindre et se lamenter, au travers une série d’exclamations et d’apostrophes. La lamentation est d’ailleurs un procédé très utilisé dans le registre pathétique.

O nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte !

Jacques Bénigne Bossuet, Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre

Exemples de textes issus du registre pathétique

Quelques exemples d’autres textes appartenant au registre pathétique :

Le théâtre fait souvent l’objet de scènes pathétiques, avec des personnages partageant leur souffrance. Dans le texte qui suit, l’auteur nous livre le désespoir d’Antigone qui vient d’apprendre qu’elle serait enterrée vivante.

ANTIGONE. – Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ô ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule

[Elle se décide à dicter une lettre d'adieu au garde.]

Écris : « Mon chéri... »

LE GARDE, qui a pris son carnet et suce sa mine. – C'est pour votre bon ami ?

ANTIGONE. – Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer...

LE GARDE, répète lentement de sa grosse voix en écrivant. – « Mon chéri, j'ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m'aimer... »

ANTIGONE. – Et Créon avait raison, c'est terrible, maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs. J'ai peur...

LE GARDE, qui peine sur sa dictée. – « Créon avait raison, c'est terrible... »

ANTIGONE. – Oh ! Hémon, notre petit garçon. Je le comprends seulement maintenant combien c'était simple de vivre...

LE GARDE, s'arrête. – Eh ! Dites, vous allez trop vite. Comment voulez-vous que j'écrive ? Il faut le temps tout de même...

ANTIGONE. – Où en étais-tu ?

LE GARDE, se relit. – « C'est terrible maintenant à côté de cet homme... »

ANTIGONE. – Je ne sais plus pourquoi je meurs.

LE GARDE, écrit, suçant sa mine. – « Je ne sais plus pourquoi je meurs... » On ne sait jamais pourquoi on meurt.

ANTIGONE, continue. – J'ai peur... (Elle s'arrête. Elle se dresse soudain.) Non. Raye tout cela. Il vaut mieux que jamais personne ne le sache. C'est comme s'ils devaient me voir nue et me toucher quand je serais morte. Mets seulement : « Pardon. » [...] Pardon, mon chéri. Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles. Je t'aime... [...]

LE GARDE. – C'est une drôle de lettre.

ANTIGONE. – Oui, c'est une drôle de lettre.

Jean Anouilh, Antigone

Dans ce passage, on retrouve les procédés d’écriture du registre pathétique : vocabulaire de la souffrance (mort, terrible, peur, mourir, peine…). La solitude de la jeune femme est renforcée par les didascalies décrivant les scènes. Le destin inéluctable d’Antigone suscite de la pitié chez le lecteur ou le spectateur.

Un autre exemple de récit appartenant au registre pathétique, extrait de Manon Lescaut. Un passage particulièrement douloureux pour le narrateur.

Pardonnez, si j'achève en peu de mots un récit qui me tue. Je vous raconte un malheur qui n'eut jamais d'exemple. Toute ma vie est destinée à le pleurer. Mais, quoique je le porte sans cesse dans ma mémoire, mon âme semble reculer d'horreur, chaque fois que j'entreprends de l'exprimer.

Nous avions passé tranquillement une partie de la nuit. Je croyais ma chère maîtresse endormie et je n'osais pousser le moindre souffle, dans la crainte de troubler son sommeil. Je m'aperçus dès le point du jour, en touchant ses mains, qu'elle les avait froides et tremblantes. Je les approchai de mon sein, pour les échauffer. Elle sentit ce mouvement, et, faisant un effort pour saisir les miennes, elle me dit, d'une voix faible, qu'elle se croyait à sa dernière heure. Je ne pris d'abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune, et je n'y répondis que par les tendres consolations de l'amour. Mais, ses soupirs fréquents, son silence à mes interrogations, le serrement de ses mains, dans lesquelles elle continuait de tenir les miennes me firent connaître que la fin de ses malheurs approchait. N'exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières expressions. Je la perdis ; je reçus d'elle des marques d'amour, au moment même qu'elle expirait. C'est tout ce que j'ai la force de vous apprendre de ce fatal et déplorable événement.

Mon âme ne suivit pas la sienne. Le Ciel ne me trouva point, sans doute, assez rigoureusement puni. Il a voulu que j'aie traîné, depuis, une vie languissante et misérable. Je renonce volontairement à la mener jamais plus heureuse.

Je demeurai plus de vingt-quatre heures la bouche attachée sur le visage et sur les mains de ma chère Manon.

Abbé Prévost, Manon Lescaut


Le personnage des Grieux partage avec le lecteur le récit de la mort de la femme qu’il aime passionnément. Il est dévasté et exprime, de manière sobre et précise, de forts sentiments liés à ce calvaire : champ lexical de la mort et de la souffrance (horreur, un récit qui me tue, pleurer, consolations, malheurs…), hyperboles exagérant sa douleur, personnification de « l’âme qui semble reculer. ». Ce récit au caractère pathétique provoque un sentiment de pitié pour le personnage et la situation qu’il a vécue.

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Natacha Lovato

Natacha Lovato

Natacha Lovato rédige pour La langue française des articles autour de la linguistique, la littérature et les expressions. Passionnée par la langue française, elle s'est aujourd'hui spécialisée dans la communication écrite afin de transmettre ses connaissances. Elle est aussi gérante d'un organisme de formation dédié à la communication écrite, et accompagne les adultes pour des remises à niveaux en français afin de perfectionner leurs écrits professionnels.

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