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Jean-Paul Sartre : vie et œuvre

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« Il faudrait que chaque homme eût en naissant à refaire, pour comprendre le monde, un effort neuf et solidaire », écrivait Sartre dans un cahier de jeunesse. Grand penseur de la liberté, Jean-Paul Sartre est sûrement le dernier des intellectuels à s’être engagé à fond – au point de refuser parfois la nuance. En témoignent les mille pages de sa bibliographie, rassemblant nouvelles, pièces de théâtres, essais et ouvrages philosophiques.

Cette responsabilité totale, dans la solitude totale, n’est-ce pas le dévoilement même de notre liberté ? Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande, nous avions perdu tous nos droits, et d’abord celui de parler. On nous insultait en face chaque jour et il fallait nous taire. A cause de tout cela, nous étions libres ». Ainsi s’exprimait Sartre en 1944. Père fondateur de l’existentialisme, défenseur acharné des révolutions socialistes, idole de la jeunesse bourgeoise d’après-guerre, habitué du café de Flore de Saint-Germain, cet « agité du bocal », comme l’a surnommé Céline, n’a cessé d’intriguer, tant par ses grands écarts idéalistes que par ses contradictions intellectuelles.

Qui est Jean-Paul Sartre ?

Né à Paris le 21 juin 1905, Jean-Paul Sartre perd son père Jean-Baptiste, capitaine de marine, alors qu’il n’est qu’un nourrisson. Dans son autobiographie, Les Mots, publiée en 1963, Sartre commente cette perte précoce (on décèle, dans ce passage en revue quasi-analytique des épisodes de sa vie, l’influence de la psychanalyse sur l’écrivain) : 

La mort de Jean-Baptiste fut la grande affaire de ma vie : elle rendit ma mère à ses chaînes, et me donna la liberté. […] Ce n’est pas tout de mourir : il faut mourir à temps. Plus tard, je me fusse senti coupable ; un orphelin conscient se donne tort : offusqués par sa vue, ses parents se sont retirés dans leurs appartements du ciel. Moi, j’étais ravi : ma triste condition imposait le respect, fondait mon importance ; je comptais mon deuil au nombre de mes vertus

Plus loin, il ajoute : « Jusqu’à dix ans, je restai seul entre un vieillard et deux femmes ».

Le jeune Jean-Paul est élevé aux côtés de sa mère par son grand-père maternel, un grand admirateur de Victor Hugo, qui apprend au garçon à aimer l’auteur de La Légende des Siècles. Il prend le grand républicain pour modèle et, déjà adolescent, se sait destiné à la littérature, seule façon pour lui d’atteindre la gloire. 

Ainsi, la littérature rentre très tôt dans la vie de Jean-Paul Sartre et il devient un lecteur insatiable : La Fontaine, Jules Verne, puis Laforgue, Valéry, Maupassant… Jean-Paul Sartre est aussi habité par un besoin de croire. Mais plutôt que d’adopter le protestantisme de son grand-père ou le catholicisme de sa grand-mère, Sartre opte pour le culte de l’art. Et c’est Flaubert qu’il érige comme dieu. Il veut désormais marier le « grotesque triste » hugolien et le « grotesque sublime » flaubertien (dans son étude sur Flaubert, il dénonce bien plus tard ce culte de la forme, mythe bourgeois par excellence). 

Sartre est destiné à faire de brillantes études, d’abord à Paris, puis à La Rochelle. Il prépare ensuite le concours de l’Ecole normale supérieure au lycée Louis le Grand et publie ses premiers textes, des contes philosophiques, dans la Revue sans titre (1923). 

À Normale, ses congénères, Raymond Aron et Maurice Merleau-Ponty, eux aussi futurs philosophes, voient en lui un génie. Il est reçu premier au concours de l’agrégation, et fait la connaissance de Simone de Beauvoir, reçue seconde pour sa part. 

De cette rencontre naît une relation fusionnelle et intellectuelle : ils deviennent complices et compagnons de vie, partageant une mutuelle admiration. Il la demande en mariage, mais elle refuse. Pour autant, ils resteront sentimentalement fidèles l’un à l’autre jusqu’à la mort de Sartre (tout en ayant une relation « ouverte »).

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L’intellectuel « total »

Devenu professeur au Havre, à Laon, puis à Neuilly, Sartre travaille à devenir le dernier « grand homme », tout en s’évertuant à détruire ce concept. Il s’intéresse autant à la phénoménologie (avec Husserl), qu’à l’existentialisme (initié par Kierkegaard et Heidegger), sans oublier la littérature américaine du XXe siècle (Hemingway, Hammett, Faulkner…). 

En 1938, il publie son premier roman, La Nausée, un ouvrage comique, métaphysique et nihiliste (où l’on sent l’influence de Céline, auquel il a emprunté de nombreux tics de langage) . Le roman, se laissant parfois aller au lyrisme, s’achève avec ces lignes : « Je suis, j’existe, je pense, donc je ballotte, je suis, l’existence est une chute tombée, tombera pas, tombera, le doigt gratte à la lucarne, l’existence est une imperfection. »

C’est pendant et après la guerre et sa libération (mobilisé durant « la drôle de guerre », il est fait prisonnier et est relâché en 1941) que Sartre découvre la philosophie de l’engagement – notamment par le biais d’une Résistance intellectuelle organisée durant l’Occupation. Il publie un grand nombre d’ouvrages philosophiques : L’Imagination en 1936, puis l’Imaginaire, en 1940, et enfin L’Être et le Néant, en 1943. Ses thèmes de prédilection sont la contingence, l’absurdité de la condition humaine, le rapport de la conscience au réel, ou encore la liberté.

Sartre s’essaye aussi aux nouvelles, puis au théâtre, avec Les Mouches, en 1943 ou Huis-clos, en 1944. C’est de cette dernière pièce, rassemblant un trio de personnages morts, condamnés à se souvenir de leur vie dans le cadre d’une cohabitation forcée, qu’est tirée une citation devenue célèbre :

Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! Quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les autres

Après la guerre, il publie des « pièces engagées » : Morts sans sépulture, en 1946, et Les Mains sales, en 1949. Il y réfléchit sur la question de l’obéissance à un parti (ses démêlés avec le PCF auquel il refuse d’adhérer y sont pour quelque chose), de la responsabilité et du passage à l’acte.

L’écrivain révolutionnaire est aussi un homme des médias. En 1945, il fonde, avec Simone de Beauvoir, la revue Les Temps modernes, à laquelle Albert Camus participe avant de rompre son amitié avec Sartre, lorsque ce dernier apporte son soutien au bloc de l’Est, malgré ses violentes répressions et crimes de masse (il en dénonce tout de même certains dans quelques textes). Senghor et Frantz Fanon, Le Deuxième sexe (ouvrage majeur de Beauvoir), y sont publiés. Sartre exerce aussi en tant que journaliste à Combat, France soir. Puis il prend la direction de La Cause du peuple, journal maoïste, et plus tard de Révolution, journal trotskiste. Enfin, en 1973, il fonde Libération.

Tiers-mondiste convaincu, Sartre soutient le combat des Africains qui s’émancipent et s’engage aux côtés des indépendantistes durant la guerre d’Algérie. Néanmoins, Sartre a été vivement critiqué pour son flirt intellectuel avec des personnalités comme Castro ou des régimes comme celui de Mao, mais aussi pour son soutien aux soulèvements de Mai-68. 

En 1972, il écrit, à propos de la Révolution française : « Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent et je ne vois pas là d’autre moyen que la mort ; on peut toujours sortir d’une prison ; les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué. » Ces prises de position extrêmes sont justement critiquées par Camus dans L’Homme révolté.

Usé par ses nuits de veille et sa prise d’amphétamines, diminué par son hypertension et sa myopie (au point qu’il est presque aveugle les dernières années de sa vie), il passe auprès de Simone de Beauvoir ses derniers instants. Laissant un grand nombre de manuscrits inachevés, le dernier rêveur des lendemains qui chantent meurt le 15 avril 1980 à Paris.

L’œuvre de Jean-Paul Sartre

Tour à tour essayiste, dramaturge, romancier, critique littéraire et penseur engagé, Jean-Paul Sartre se trouve à l’embranchement entre littérature et philosophie. À travers son œuvre, immense, s’articule autour de ses deux sujets de prédilection : l’existentialisme et le matérialisme dialectique. Grand lecteur de Bergson, les premiers travaux philosophiques de Sartre portent sur l’analyse de la vie psychique et de la conscience, ce qui le pousse à publier un premier essai, L’Imagination, en 1936, puis L’Imaginaire, en 1940. Dans ces ouvrages, Sartre entame son grand travail du rapport au réel, par le biais d’une phénoménologie de l’image. 

Son œuvre philosophique comprend, outre L’Être et le Néant, publié en 1943, la Critique de la raison dialectique, publiée en 1960. Il s’adonne aussi à de nombreux récits, dont Le Mur, un recueil de nouvelles publié en 1939, Les Chemins de la liberté (1945-1949) et Les Mots, son autobiographie, publiée en 1964. 

En tant que dramaturge, on retient Les Mouches (1943), Huis-clos (1944), La Putain respectueuses (1946) et Les Mains sales (1948). 

Enfin, notons ses essais critiques et politiques ainsi que ses études sur Baudelaire, Genet et Flaubert, ainsi que la série Situations, des articles publiés de 1947 à 1976. Ses ouvrages littéraires et philosophiques traitent de notions telles que la liberté, l’existence, la réflexion sur la condition humaine soumise à l’instabilité des choses, l’absurde, ou le rapport de la conscience au réel.

Le premier roman

Le travail de réflexion qu’il a mené au sujet de la temporalité chez Faulkner l’a poussé à affirmer qu’une « technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier ». Ainsi, La Nausée, son premier roman publié en 1938, se présente comme le journal intime d’un personnage « qui s’englue dans la vie morne, dans un présent sans perspectives ». Sorte de crise existentielle formalisée, révèle la contingence de l’existence humaine. 

Dans l’ouvrage, le narrateur met le doigt sur la particularité du récit vis à vis de la vie (que le récit prétend pourtant imiter ou retranscrire) : tout récit procède d’une recomposition des événements racontés, il n’y a donc pas à proprement parler d’histoire vraie. 

« Raconter sa vie […] revient très exactement à lui donner cette allure de roman qui la fait seule exister. Il n’existe aucun moyen de se soustraire à une telle loi », commente le romancier et critique Philippe Forest (in Le Siècle des nuages, 2010). En somme, tout récit recompose le réel afin de lui conférer une cohérence a posteriori.

Ça, c’est vivre. Mais quand on raconte la vie, tout change ; seulement c’est un changement que personne ne remarque : la preuve, c’est qu’on parle d’histoires vraies. Comme s’il pouvait y avoir des histoires vraies ; les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse.

L’analyse faite ici par Sartre prend en compte la temporalité du récit et l’arrangement conscient ou inconscient du narrateur par rapport au réel de sa propre vie. Il développe davantage sa théorie dans Qu’est-ce que la littérature (texte publié en 1948, au lendemain de la seconde guerre mondiale). 

On y trouve une réflexion centrée sur la question de l’intentionnalité de l’auteur. Sartre y analyse les rapports entretenus par le lecteur avec le texte. Il s’arrête notamment sur la fonction du langage poétique, qui ne se sert pas des mots mais « les sert ». 

Ainsi, le poète n’utilise pas les mots comme des outils, mais comme un objet, une image du monde. Il est sensible à la nature visuelle et sonore du mot : d’où la polysémie créée par le langage poétique : « Le poète est hors du langage, il voit les mots à l’envers, comme s’il n’appartenait pas à la condition humaine […]. Au lieu de connaître les choses d’abord par leur nom, il semble qu’il ait d’abord un contact silencieux avec elles puis que, se retournant vers cette autre espèce de choses que sont pour lui les mots, les touchant, les tâtant, les palpant, il découvre en eux une petite luminosité propre et des affinités particulières avec la terre, le ciel et l’eau et toutes les choses créées. » On se rappelle la phrase de Valéry : « Le poème – cette hésitation prolongée entre le son et le sens » (Rhumbs). 

La poétique d’un auteur engagé

Si le poète est exempt d’un engagement politique dans la ville, compte tenu de la spécificité de son langage, le romancier et l’intellectuel ne le sont pas. Sartre a été un des premiers – et peut-être derniers – auteurs véritablement engagés sur le front politique

Mais son engagement est avant tout philosophique. Grand penseur de l’Absurde, à l’image de son contemporain Albert Camus, Sartre affirme que « l’existence précède l’essence ». Ce postulat induit l’homme à donner lui-même une direction à une existence considérée comme dénuée de sens. Il se détermine donc par ses actes, ses choix, ses œuvres. De ce fait, aux yeux de Sartre, l’écrivain est un homme comme les autres qui ne peut se penser en dehors du monde.

Il exprime cette théorie de la condition de l’écrivain dans la présentation de la revue fondée avec Simone de Beauvoir, Les Temps modernes (1945). Il écrit :

L’écrivain est en situation dans son époque, chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. Ce n’était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l’affaire de Voltaire ? La condamnation de Dreyfus, était-ce l’affaire de Zola ? L’administration du Congo, était-ce l’affaire de Gide ? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d’écrivain.

Cet engagement, il le met en pratique toute sa vie durant. Aux yeux du critique Alain Robbe-Grillet, cette attitude est l’unique façon de porter son art au sommet au cœur d’une société : « C’est là, pour lui, la seule chance de demeurer un artiste, et sans doute aussi, par voie de conséquence obscure et lointaine, servir un jour peut-être à quelque chose – peut-être même à la révolution ».

Le quiz

De quelle université Jean-Paul Sartre a-t-il obtenu son diplôme d'agrégation de philosophie ?

  • Sorbonne Université
  • Université de Paris VIII
  • L'Ecole Normale Supérieur
  • Université de Genève

Quel est le titre du premier roman écrit par Jean-Paul Sartre ?

  • Huis Clos
  • La Nausée
  • Les Mots

Quel type d'oeuvres a écrit Jean-Paul Sartre ?

  • Essais et pièces de théâtre
  • Romans, essais et pièces de théâtre
  • Poèmes et nouvelles

Qui a reçu le prix Nobel de littérature en 1957 ?

  • Victor Hugo
  • Albert Camus
  • Jean-Paul Sartre

Quand est décédé Jean-Paul Sartre ?

  • 1980
  • 1943
  • 1960

Quel mouvement littéraire a fondé Jean-Paul Sartre ?

  • Le surréalisme
  • Le postmodernisme
  • L'existentialisme

Qui est Simone de Beauvoir, la compagne de Jean-Paul Sartre ?

  • Une philosophe féministe française.
  • Une actrice française célèbre.
  • Une peintre française célèbre.

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Violaine Epitalon

Violaine Epitalon

Violaine Epitalon est journaliste, titulaire d'un Master en lettres classiques et en littérature comparée et spécialisée en linguistique, philosophie antique et anecdotes abracadabrantesques.

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