Avaler des couleuvres : définition et origine de l’expression
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Quelle drôle d’expression… ! Au sens littéral de la phrase, avaler des couleuvres signifierait que l’on s’alimenterait de serpents, inoffensifs certes, mais il vaut mieux avoir un estomac solide !
Dans les expressions évoquant les couleuvres telles que « paresseux comme une couleuvre » ou « se glisser comme une couleuvre », le côté inoffensif, souple et silencieux du charmant animal est mis en évidence. Est-ce le cas dans l’expression « avaler des couleuvres » ? Que symbolisent les couleuvres et pour quelle raison les avaler ?
Apparue au XVIIe siècle, l’expression est aujourd’hui très employée, à l’oral comme à l’écrit. Nous vous donnons ici toutes les explications sur sa signification et son origine. Bonne lecture !
Définition de l’expression « avaler des couleuvres »
L’expression « avaler des couleuvres » a une première signification qui est de « subir des affronts, des désagréments sans être en mesure de protester ». Il faut accepter une situation humiliante et contraignante, des faits inattendus, sans se plaindre, contre son gré.
Dans son Dictionnaire, Antoine Furetière explique :
On dit qu’un homme a bien avalé des couleuvres, lorsqu’on a dit ou fait devant lui plusieurs choses fâcheuses qu’il se peut appliquer, ayant été cependant obligé de se cacher le déplaisir qu’il en avait.
Antoine Furetière, Dictionnaire
On entend souvent « faire avaler des couleuvres à quelqu’un » dans le sens « lui faire gober n’importe quoi, croire des choses mensongères ». On dit aussi de manière familière « avaler le morceau » ou « avaler la pilule ».
La couleuvre est avant tout un serpent inoffensif généralement non venimeux qui apprécie particulièrement les endroits chauds et humides. Elle est souvent confondue avec la vipère.
Comme le serpent, elle est vue comme le symbole de l’hypocrisie et du mensonge, de tout ce qui est tortueux, et cultive un certain art de la persuasion. La couleuvre est d’ailleurs le serpent lié au péché originel dans la Bible, commis par Adam et Ève… C’est la couleuvre qui les a convaincus de croquer le fruit défendu.
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Une ancienne signification de couleuvre désigne également une personne perfide ou une insinuation malicieuse (comme une langue de vipère), à laquelle il est difficile de répondre.
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Origine de l’expression « avaler des couleuvres »
Plusieurs explications seraient à l’origine de cette expression. Elle est apparue dans la littérature française au XVIIe siècle.
Si d’un état agréable j’étois passé tout d’un coup à un état malheureux, je sentirois tout ce que vous sentez ; mais on m’a fait avaler huit ans durant tant de couleuvres, dont je ne me vantois pas, que je regardois la fin de ces misères, de quelque façon qu’elle pût arriver, comme je regardois avant cela d’être maréchal de France ;
Comte de Bussy-Rabutin, Lettres à Madame de Sévigné
Une origine de cette expression, régulièrement citée, est liée à la gastronomie. À l’époque où l’on servait des anguilles aux invités, certains hôtes espiègles ou désirant se venger de quelque chose, introduisaient dans le plat commun des couleuvres. L’anguille étant un poisson d’eau douce à forme de serpent, ces deux espèces d’apparence très proche se confondaient facilement. Les invités ne faisaient ainsi pas attention à ce qu’ils avalaient.
Leur absence de réaction montrait qu’ils pouvaient donc « gober n’importe quoi » sous l’œil malicieux de leur hôte. Ou au contraire, qu’ils ne s’opposaient pas à cette farce, de peur de faire un scandale.
On retrouve d’ailleurs, dans la poésie française du XVIIe siècle, ces deux animaux cités dans un même vers :
Clément, mon ami cher :
Jean-Baptiste Rousseau, Épîtres
Sotte ignorance et jugement léger
Vous ont jadis, on le voit par vos œuvres,
Fait avaler anguilles et couleuvres,
Des novateurs complices vous nommant,
Ou votre honneur en public diffamant.
Il semblerait également que l’expression ait un lien avec le mot « couleur », confondu avec la couleuvre, qui prenait, d’après Le Robert, dans le courant du XVe au XVIIe siècle, le sens de « raison spécieuse, fausse apparence ».
Exemples d’usage de l’expression « avaler des couleuvres »
Enfin le bourgeois qui, quand il a demandé un vin d’un cru célèbre veut voir le bouchon, pour être certain de n’avoir pas été trompé est un double innocent auquel Auguste fera avaler des couleuvres à toutes les sauces et à tous les prix.
Journal La coulisse – 1er janvier 1880
Je voudrais, pour la rareté du fait, que vous eussiez lu ou que vous lussiez son Catilina, que Mme de Pompadour protégea tant, par lequel on voulait m’écraser, et dont on se servit pour me faire avaler des couleuvres dont on n’aurait pas régalé Pradon.
Voltaire, Correspondances
— On me fait avaler des couleuvres toute la journée, répétait le baron.
Henri Stendhal, Lucien Leuwen
— Ne dites pas cela trop haut, mon cher général ;
Pour ce qui est de nous, bon populo, en fait de poissons, nous continuerons à avaler des couleuvres, — et aussi à trimer pire que des galériens afin que les mornes de la haute se baladent dans de riches falbalas.
Eugène Mouton, Un demi-siècle de vie, 1848-1901
Après une pareille déconfiture, la convalescence avait été longue ; et quand on pense qu’elle l’a tenu dix-sept ans à cuver sa rage et à avaler des couleuvres sans pouvoir s’en tirer, on peut mesurer ce qu’il a mis de patience à tisser cette toile d’araignée où il devait un jour envelopper toute une population.
Émilie Pouget, Ventôse, Almanach du Père peinard
Il y a deux manières de devenir ministre : l’une brusquement et par force, l’autre par longueur de temps et par adresse ; la première n’était point à l’usage de M. de Villèle : le cauteleux exclut l’énergique, mais il est plus sûr et moins exposé à perdre la place qu’il a gagnée. L’essentiel dans cette manière d’arriver est d’agréer maints soufflets et de savoir avaler une quantité de couleuvres : M. de Talleyrand faisait grand usage de ce régime des ambitions de seconde espèce.
François-René de Chateaubriand – Mémoires d’outre-tombe
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