L'Arlésienne : définition et origine de l’expression
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Lorsque l’on vous parle d’Arlésienne, généralement, vous imaginez une jeune fille originaire d’Arles, en Provence. Et même si toutes les villes ont leurs cas-types (loin de nous l’idée de perpétuer des clichés, mais la Parisienne, la Marseillaise ou la Lyonnaise répondent elles aussi à certains stéréotypes) et que chaque région a ses particularités, ce n’est pas pour autant que vous iriez jusqu’à imaginer que « l’Arlésienne » est une expression française. D’autant plus que la ville d’Arles n’a pas le statut que peuvent avoir les villes sur-citées (même si elle fut autrefois la capitale provinciale de la Rome antique).
Comment se fait-il alors qu’un simple gentilé obtienne le statut d’expression ? Nous vous expliquons tout dans cet article. Bonne lecture !
Définition de l’expression « l’Arlésienne »
L’expression « l’Arlésienne » s’utilise dans deux contextes : tout d’abord pour décrire un comportement ou le caractère d’une personne. Ensuite, et pas extension, pour désigner un personnage-type littéraire au service de la trame narrative et de l’intrigue d’un roman, d’un conte ou d’une pièce de théâtre.
Une Arlésienne désigne donc d’une part une personne dont on parle à longueur de temps mais qui ne se montre jamais. Dans le cadre littéraire (du moins dans la cadre de la construction narrative d’un récit), une Arlésienne est un personnage dont il est souvent fait mention, mais qui n’apparaît jamais ou seulement tardivement. Le scénariste Yann Tobin définit ainsi l’Arlésienne dans le Dictionnaire des personnages de cinéma : Seront désignés sous ce nom les personnages décisifs d’une intrigue qui, pour une raison ou une autre, n’apparaissent pas à l’écran ».
Une arlésienne désigne ainsi un personnage qui n’apparait jamais et dont l’existence est non prouvée mais qui permet de maintenir une forme de mystère ou de suspens, (c’est par exemple le cas du personnage de Godot dans la pièce de Samuel Beckett, En attendant Godot). Par ailleurs, elle peut désigner également un personnage dont l’existence est essentielle au point d’y avoir recours tout au long du récit pour justifier d’actions mais qui n’apparaît jamais réellement en chair et en os.
Dans le français populaire, la réputation de ce fameux personnage a engendré une autre expression : « jouer l’Arlésienne » dont la signification est très proche du terme lui-même. On dit en effet d’une personne qu’elle « joue l’Arlésienne » lorsqu’elle se dérobe et ne se montre jamais alors qu’elle est attendue. L’expression s’applique aussi aux objets, et, de façon plus étonnante, aux sujets de conversation, du moment que la chose attendue occupe tous les esprits.
Origine de l’expression « l’Arlésienne »
L’expression l’Arlésienne a été créée de toute pièce par Alphonse Daudet, célèbre écrivain provençal, auteur des Lettres de mon moulin. Dans ce volume, se trouve une courte nouvelle, appelée l’Arlésienne (cette nouvelle de trois pages est pour la première fois publiée en 1866 dans le quotidien de Victor Hugo, l’Événement avant d’être intégrée aux Lettres de mon moulin en 1869).
Le personnage éponyme se trouve ainsi à l’origine de l’expression via le procédé stylistique de l’antonomase. Le récit – qui sera par la suite adaptée au théâtre sur une musique composée par George Bizet –, raconte l’histoire de Jan et de ses amours pour une jeune fille originaire d’Arles : les parents du garçon finissent par consentir au mariage de Jan et de l’Arlésienne. Mais un jour, un homme se rend chez la famille et révèle qu’il a été l’amant de la jeune fille en le prouvant par des échanges épistolaires. Jan renonce donc au mariage mais ne peut se résoudre à oublier l’Arlésienne et, rongé par le chagrin, se suicide :
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Jan ne parla plus de l’Arlésienne. Il l’aimait toujours cependant, et même plus que jamais, depuis qu’on la lui avait montrée dans les bras d’un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire ; c’est ce qui le tua, le pauvre enfant !… Quelquefois il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D’autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers… Le soir venu, il prenait la route d’Arles et marchait devant lui jusqu’à ce qu’il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. Alors il revenait. Jamais il n’alla plus loin.
Alphonse Daudet, Les Lettres de mon moulin, l’Arlésienne
L’Arlésienne est donc ensuite devenue la figure par excellence de la personne que l’on attend désespérément mais qui n’arrive jamais – tout comme le mariage en question. D’ailleurs, le personnage n’apparaît pas dans le conte : une grande fête de fiançailles est même organisée en l’honneur de l’Arlésienne, fête à laquelle elle ne participe pas. Ainsi, l’Arlésienne est à la fois présente et absente au cœur de l’intrigue.
Pour aller plus loin : Il est commun que des personnages de la littérature donnent lieu à des expressions, toujours via le procédé d’antonomase, mais aussi parce qu’il revêt un trait de caractère – ou qu’ils accomplissent une action – assez particulier pour en devenir l’incarnation même. Ainsi, le riche veuf de Molière, Harpagon, tiré de sa pièce L’Avare, deviendra le visage de l’avarice dans le langage courant : on dira de quelqu’un que c’est un « harpagon » lorsqu’il refuse de prêter son argent ou qu’il fait preuve de pingrerie.
Évolution historique de l’usage de l’expression « l’arlésienne »
Cette expression française a été popularisée lors du XXe siècle et est désormais de plus en plus utilisée si on analyse ses occurrences dans les textes publiés depuis deux siècles :
Exemples d’usage de l’expression « l’Arlésienne »
Jérôme est accablé de soucis : sa femme se dévergonde, sa maîtresse lui joue l’Arlésienne, son patron se méfie de lui et son rival cherche à le torpiller…Loin de se laisser abattre, Jérôme décide de réagir. Première étape : éliminer le rival !Mais au lieu d’engager un tueur professionnel, Jérôme charge un scénariste au chômage de la sale besogne… À vivre dans le monde de la fiction, on finit par perdre le sens de la réalité !
Colin Thibert, Barnum TV, Gallimard
Depuis le temps qu’il avait été mis en chantier, au printemps 2019, le projet de loi dit « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration) avait fini par prendre des allures d’Arlésienne. Certes, à chaque échéance ou presque concernant les collectivités territoriales, le sujet était évoqué. Mais sans que personne ne soit en mesure d’en préciser les contours.
Journal Le monde
Depuis la crise financière voire l’éclatement de la bulle Internet, la croissance joue à l’arlésienne avec les pays européens. Nous en avons perdu le goût. C’est tout juste si certains en craignent le retour qui serait synonyme de déséquilibres et d’inflation.
Journal Les Echos
Elle aurait voulu ne jamais revoir Tom Links. Elle buta sur lui à l’aérodrome. Qu’est-ce que tu fais là ? C’est malin ! Quoi, c’est malin ? De jouer les Arlésiennes, à ton âge. Qu’est-ce que tu voulais ? Ton adresse à Paris, ton téléphone. Et savoir si tu voulais me revoir.
Claudine Jardin, L’Eau trouble