Les moutons de Panurge : définition et origine de l’expression
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« Être un mouton », comparaison familière à la plupart d’entre nous, fait référence à l’idiotisme animalier des ovidés dont le propre est de se déplacer en troupeau. Mais l’expression « mouton de Panurge », moins usitée, nécessite une référence que vous ne trouverez qu’en ouvrant à nouveau vos anciens livres d’école, oubliés dans la poussière de vos bibliothèques. Si vous n’en n’avez pas le courage, cet article le fait pour vous ! Bonne lecture.
Définition de l’expression « mouton de Panurge »
L’expression « mouton de Panurge », locution nominale, est utilisée pour qualifier le comportement ou le caractère de ce que l’on appelle un « suiveur », c’est-à-dire quelqu’un qui a tendance à suivre l’opinion générale sans chercher à se forger une critique propre ; autrement dit, à suivre la majorité sans trop se poser de questions…
Le « mouton » est bien connu pour cette caractéristique de l’instinct grégaire, considéré comme le comportement fondamental de l’espèce, fustigé dans l’expression, et dont la connotation est ici fortement péjorative.
En effet, les moutons font preuve de cette tendance à se rassembler en troupeau dès qu’ils se sentent menacés. Si l’on se fie à Wikipédia :
« la hiérarchie dominante naturelle des moutons et leur inclination à suivre docilement un chef de file vers de nouveaux pâturages ont été certainement les facteurs essentiels qui en ont fait une des premières espèces animales domestiquées. Tous les moutons ont tendance à se tenir à proximité des autres membres du troupeau, bien que l’intensité de ce comportement varie avec les races. Les éleveurs exploitent ce comportement pour garder les moutons ensemble sur des pâturages non clos et pour les déplacer facilement. »
On comprend donc l’analogie (ou la métaphore), très évocatrice, avec l’animal…
Mais pourquoi, dans cette expression, les moutons sont-ils ceux de Panurge, demanderez-vous ? Nous y venons…
En attendant, sachez que cette expression ancienne est toujours très populaire. Le Mouton de Panurge est par exemple le titre d’une chanson de Georges Brassens.
Evolution historique de l’usage de l’expression « mouton de Panurge »
L’étude des occurrences dans les ouvrages publiés montre l’évolution de l’usage de l’expression « mouton de Panuge » au fil du temps (source : Google Ngram) :
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Origine de l’expression « mouton de Panurge »
L’expression « moutons de Panurge » est née dans la littérature. En effet, l’esprit grégaire, propre à la famille des bovidés, est mis en scène par François Rabelais dans un épisode du Quart Livre, roman publié en 1552.
Si l’expression n’y est pas formulée de toute pièce, c’est de cette histoire qu’elle tire son origine. Dans le chapitre VIII, Pantagruel et ses compagnons, dont fait partie Panurge, sillonnent la mer afin de rencontrer la Dive Bouteille, un oracle.
Lors de leur quête, ils tombent sur un navire marchand. Un différend éclate entre Panurge et le marchand Didenault, car ce dernier s’est moqué de l’accoutrement de Panurge. Panurge décide alors de lui acheter un mouton, lorsque tout est revenu au calme.
La transaction s’avère délicate dans la mesure où le mouton appartient à la race Chrysomallos (le bélier à la toison d’or). Une fois le mouton acheté, Panurge le jette par-dessus bord… et le troupeau entier le suit, emportant sur son passage Didenault et le reste de l’équipage qui tente de les retenir.
Voici l’extrait du chapitre (en ancien français) :
Soubdain, ie ne sçay comment, le cas feut subit, ie ne eu loisir le consyderer. Panurge sans autre chose dire iette en pleine mer son mouton criant & bellant. Tous les aultres moutons crians & bellans en pareille intonation commencèrent soy iecter & saulter en mer après à la file. La foulle estoit à qui premier saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous iours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dict Aristoteles lib. 9. de histo. animal. estre les plus sot & inepte animant du monde. Le marchant tout effrayé de ce que davant ses yeulx perir voyoit & noyer ses moutons, s’efforçoit les empecher & retenir tout de son povoir. Mais c’esttoit en vain. Tous à la file saultoient dedans la mer, & perissoient.
Extrait du Quart Livre, chapitre VIII
Comme le formule Rabelais, le mouton a donc cette tendance à suivre le reste du troupeau, où qu’il aille. L’expression « mouton de Panurge » fait donc surtout référence à un épisode de la littérature qui a illustré à merveille cette caractéristique, dans le cadre d’une ruse qui plus est. Vous pourrez toujours tenter vous-même l’expérience la prochaine fois que vous ferez un saut à la campagne…
Pour aller plus loin : de cette tendance à suivre le mouvement général est tiré l’adjectif « panurgique » qui se dit de quelqu’un qui a tendance à suivre instinctivement sans réfléchir les idées et les opinions du groupe auquel il appartient. Le sens attribué originellement au « mouton » a donc subi un glissement pour se trouver attribué au personnage principal de l’épisode : Panurge.
On trouve aussi le mot « normopathe », (composé de la racine de « norme » et du suffixe « pathe »), qualifiant une personne qui se conforme de manière excessive à des normes sociales de comportement sans parvenir à exprimer sa propre opinion ou à faire jouer son esprit critique perdant toute notion de subjectivité.
Exemples d’usage de l’expression « mouton de Panurge »
D’ailleurs, dans toutes leurs histoires bondieuses, c’est plein de moutons répugnants, de bergers à tête de parfaits demeurés. Ça leur va bien, elles sont averties. Et je me demande alors pourquoi les moutons de Panurge les font rire, je ne vois pas qu’elles aient lieu de rire, puisque c’est leur histoire à elles.
Anne Montague, La Poupée-massacre, 1968
[il] Gardait en toutes circonstances les manières, le comportement d’un vrai philosophe, égaré parmi ceux qu’il appelait « les moutons de Panurge ». Son copain socialiste, Granger, ajusteur à Nogent-sur-Marne, avait moins de personnalité, mais sa gentillesse, la sympathie qu’il nous témoignait avaient conquis notre amitié.
George Navel, Passages, 1982
La récré fut brusquement troublée par un coup de feu. Des regards affolés se dirigèrent du bonimenteur à la provenance du tir, et de la riflette au voisin le plus proche toute parole mielleuse d’un toubab dissimule du venin. La deuxième détonation retentit à quelques secondes de la première, provoquant la débandade générale. Les guerriers, tels des moutons de Panurge, détalèrent en direction de l’abri, paradoxalement situé dans la zone à risques.
Achille F. Ngoye, Agence Black Bafoussam, 1996
N’hésitez pas à compléter cet article si nécessaire et à ajouter vos réflexions sur cette expression française en commentaire.
Merci pour toutes ces explications ! L’origine des noms et des expressions me captive, alors j’ai un plaisir énorme à vous lire !