Pisser dans un violon : définition et origine de l’expression
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Dans la catégorie des expressions incongrues, nous vous présentons « pisser dans un violon ». A première vue grossière, l’expression est plus subtile qu’on ne le pense. On peut légitimement se demander pourquoi souiller ainsi un si noble instrument ? C’est là tout le secret de l’expression ! On vous explique tout dans cet article… Bonne lecture !
Définition de l’expression « pisser dans un violon »
L’expression « pisser dans un violon » signifie qu’un acte est inutile et ne produit pas de grands résultats, malgré tous les efforts et la persévérance qu’on y accorde. En effet, avez-vous déjà essayé de reproduire une valse de Tchaïkovski en urinant – pardonnez le terme – sur un violon ? Le résultat serait quelque peu décevant… d’où l’analogie !
L’expression s’utilise souvent dans le cadre d’une comparaison. On la retrouve généralement sous deux formes : « Autant pisser dans un violon » et « c’est comme pisser dans un violon ». Il faut noter que l’expression fait partie du langage familier et qu’il serait donc déplacé de l’utiliser dans le cadre d’un entretien d’embauche, par exemple. Ce serait tout comme pisser dans un violon, justement…
Evolution historique de l’usage de l’expression « pisser dans un violon »
L’étude des occurrences dans les ouvrages publiés montre l’évolution de l’usage de l’expression « pisser dans un violon » au fil du temps. Cette expression est de plus en plus utilisée à partir du XXe siècle.
Origine de l’expression « pisser dans un violon »
Tout comme la plupart des expressions formées avec l’usage et l’évolution du langage populaire, l’apparition de la locution « pisser dans un violon » est incertaine. On fixe au XIXe siècle ses premières occurrences dans les écrits – sachant que son apparition dans l’oral peut remonter à plus loin.
Malgré le sens de l’expression, il semble délicat de comprendre comment le terme « pisser » s’est trouvé accolé à celui du violon. Pour expliquer cela, nous pouvons nous référer à une note, laissée dans un ouvrage contemporain mais dont l’action se déroule au XIVe siècle, rédigée par Andrea H. Japp :
Le terme pisser n’était absolument pas grossier et désignait simplement l’acte d’uriner.
Andrea H. Japp, Les Enquêtes de M. Mortagne, bourreau
Malgré tout, l’expression fait partie du registre de langage familier, rarement utilisé dans les sources écrites. Nous en retrouvons une occurrence, une des plus anciennes selon Gallica BnF, dans une revue : « Ça n’est pas neuf, on trouve ça dans les vieux livres, mais ça ne fait pas plus d’effet qu’à pisser dans un violon. » (L’Apiculteur, n°10, octobre 1865).
Néanmoins, on connaît aussi à l’expression deux autres formulations : « souffler » et « siffler dans un violon ». L’utilisation de ces deux derniers verbes s’explique davantage. En effet, si l’on souffle dans une trompette ou autre instrument à vent pour produire du son, siffler ou souffler dans un violon ne sert à rien.
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Cependant, on ne saurait dire si le terme de « pisser » est une déformation des deux premiers verbes par le rapprochement des sonorités ou une simple création du langage populaire. Dans les sources de la BnF (Gallica), les occurrences des expressions « siffler » et « souffler dans un violon » remontent en effet à la même époque (première occurrence dans L’Intrigant, journal, en 1880).
On remarquera par ailleurs qu’on les trouve dans le cadre d’un registre, si ce n’est plus soutenu, du moins du langage courant (on les retrouve surtout dans des journaux et revues). Exemple : « Bah, autant siffler dans un violon… » (Journal La Croix, 30 septembre 1900). Ou encore, pour une illustration plus complète : « L’eau bénite, pas plus que de souffler dans un violon pour le faire résonner, ne peut chasser le diable ni les diablotins, comme non plus elle ne peut attirer les bénédictions du ciel. » (Le Prophète de la Haute-Garonne, Dominique Laye, 1886)
Pour aller plus loin : L’expression « pisser dans un violon » a un équivalent tout aussi incongru en langue française : « peigner la girafe ». L’origine de l’expression est obscure mais on se doute qu’elle désigne une action longue et peu utile de par la taille du cou d’une girafe.
Au Maghreb, l’expression française a aussi un équivalent, mais la métaphore joue davantage sur les actions quotidiennes tournées en dérision pour exprimer l’inutilité d’un travail ou le fait de perdre son temps : « Il vend du vent au voilier » ou encore « il fait un trou dans l’eau ».
Exemples d’usage de l’expression « pisser dans un violon »
Le poète Izambard tient pour l’éternité la chaire de rhétorique au collège de Charleville, le professeur Izambard; il a pour toujours vingt-deux ans, sa vie longue est lettre morte, et les recueils que pourtant il composa et publia plus tard, c’est au regard du temps comme s’il avait pissé dans un violon.
Pierre Michon, Rimbaud le fils, Gallimard
Bien. Tu fais des progrès. Et le reste ? Son enquête ? Le reste, on s’en branle. Elle peut écrire ce qu’elle veut, où elle veut. Ce sera comme pisser dans un violon, comme toujours. Il se marra, puis sa voix redevint aussi tranchante que le couteau qu’il maniait avec dextérité Deux jours. Le contenu de la disquette noire, il n’y avait que ça qui les intéressait.
Jean-Claude Izzo, Solea, Gallimard
– Il te demande qui tu es ?
Don DeLillo, Chien galeux
– Dis-lui d’aller pisser dans un violon, répliqua Mudger.
N’hésitez pas à compléter cet article si nécessaire et à ajouter vos réflexions sur cette expression française en commentaire.
Une très bonne idée, cette rubrique, et encore davantage d’y accueillir les commentaires venant d’autres pays, qui nous permettent de constater que, bien souvent, on retrouve dans de nombreuses langues des expressions comparables, adaptées au contexte local !
Quoi de plus convaincant pour nous démontrer, encore et encore, qu’un humain, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs, reste d’abord un humain « comme les autres », avec grosso modo les mêmes modes de pensée et le besoin de nommer les mêmes choses, et que nous sommes tous, sinon « pareils », du moins « semblables », par-delà nos cultures différentes ?
Une bouffée d’optimisme, en ces temps où d’aucuns voudraient dresser des barrières entre les peuples :-).