Pousser des cris d’orfraie : définition et origine de l’expression
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Savez-vous pourquoi l’on dit « pousser des cris d’orfraie » ? Cette expression française remonte au XVIe siècle — et comme de nombreuses formules consacrées, on l’emploie de nos jours en ne s’interrogeant que rarement sur son sens premier, et sur la manière dont elle est apparue dans la langue de Molière.
D’ailleurs, qu’est-ce qu’un ou une orfraie ? Ce terme a-t-il un lien avec le travail de l’or, comme le mot « orfèvre » ? Mais alors, quel serait le rapport avec le fait de crier ? Inutile de nous perdre en questions : entrons dans le vif du sujet, dans cet article sur la définition et l’origine de l’expression « pousser des cris d’orfraie ».
Définition de l’expression « pousser des cris d’orfraie »
Au sens littéral, « pousser des cris d’orfraie » signifie tout bonnement « hurler ». Les « cris d’orfraie » (un rapace) sont stridents, et ils expriment généralement la surprise, voire l’effroi, face à une situation désagréable ou terrifiante.
Par extension, « pousser des cris d’orfraie » désigne, au figuré, le fait de protester violemment, de s’insurger de façon ostentatoire et véhémente, peut-être même excessive et démesurée, dans un sens proche d’une autre expression française, « crier au loup ».
Dans les deux locutions, la personne qui donne l’alerte s’écrie de manière inappropriée : elle s’alarme plus que de raison, et se laisse emporter par une émotion inadaptée aux circonstances.
Origine de l’expression « pousser des cris d’orfraie »
Au départ, le mot « orfraie » (issu du latin ossifraga qui signifie « oiseau briseur d’os ») désigne les rapaces diurnes. Difficile de déterminer lequel exactement, car le terme a été utilisé au fil des siècles pour dénommer plusieurs sortes de rapaces (tantôt les pygargues, tantôt les balbuzards). Aujourd’hui, ce nom vernaculaire a donc laissé sa place à des vocables scientifiques plus précis, permettant de mieux distinguer les oiseaux.
Qui plus est, le paradoxe est que les oiseaux de jour, désignés à l’origine par le mot « orfraie », ne poussent même pas de cris stridents !
En vérité, l’expression provient plutôt de la « chouette effraie », ainsi nommée par déformation du mot « orfraie ». Animal nocturne pour sa part, cette chouette blanche très commune, aussi appelée « effraie des clochers » ou « fressaie », émet des hurlements stridents et « effrayants » (d’où le glissement orthographique), et considérés comme étant de mauvais augure.
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C’est ainsi qu’apparait au XVIe siècle l’expression « des cris d’orfraie » (ou « orfraye » en ancien français), pour décrire toutes sortes de cris stridents et alarmants, et que la locution prend, par extension, la signification figurée que nous lui connaissons aujourd’hui
Exemples de l’usage de l’expression « pousser des cris d’orfraie »
Je crois que papa m’aurait approuvée, reprend-elle. Le seul ennui, c’est que tous ceux qui étaient compromis dans les combines malpropres de Dominic vont pousser des cris d’orfraie et jurer de se venger. Dans le lot, il y a des gens très influents.
Carter Brown, Juteux à souhait
Voici le plan qu’il avait arrêté. Il devait tout doucement gagner la chambre de Washington Otis, pousser des cris d’orfraie au pied de son lit, puis par trois fois se passer la dague dans la gorge au son d’une musique grave.
Oscar Wilde, Le Fantôme des Canterville et autres contes
La pression des pneus, l’état des freins. Il aura fallu qu’un détail échappe à l’attention de mon garagiste. Une fuite peut-être. Cette fois l’aiguille a atteint la zone dangereuse, teintée de rouge sur le cadran. Impossible de continuer, je risque gros, mais pas moyen non plus de rester au milieu de la chaussée ni de monter sur le trottoir trop étroit, encombré de piétons, lesquels vont pousser des cris d’orfraie.
Roger Vrigny, Accident de parcours
Latchmer chercha son père, mais lui aussi semblait avoir disparu. Tout le monde regardait sa grand-mère, qui courait à travers le cimetière en hurlant « Salope ! Salope ! » Mais miss Mitchell s’était volatilisée. Une haie de buis cacha soudain la grand-mère, mais Latchmer l’entendait toujours pousser des cris d’orfraie. Derrière lui, les gens commençaient à s’en aller.
Stephen Dobyns, Un chien dans la soupe
Nous sommes entre nous, mon vieux. Et si Romain était encore là, il se moquerait de vous. Quand j’étais jeune, il n’y avait que deux choses amusantes et assez proches l’une de l’autre pour se haïr à mort et pour se comprendre à demi-mot : le fascisme et le communisme. Ils se sont compris d’ailleurs autant qu’ils se sont haïs, et il n’y a eu que les imbéciles pour pousser des cris d’orfraie à la signature du pacte germano-soviétique.
Jean d’Ormesson, Voyez comme on danse