Secret de Polichinelle : définition et origine de l'expression
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Nous allons vous raconter une histoire. Il était une fois un homme à deux bosses nommé Polichinelle, bouffon à la cour, et Monsieur de Bugolin, grand majordome du roi. Ce majordome ne porte pas Polichinelle dans son cœur – c’est un euphémisme – et tente de lui nuire par tous les moyens. Mais Polichinelle, grand professionnel de la farce, riposte et souffle au roi, en lui faisant promettre de garder le secret: monsieur de Bugolin aurait le corps couvert de plumes ! Il s’empresse de son côté de faire circuler ce « secret » dans tous les couloirs du château.
Au bout du compte : tout le monde est au courant, sauf ledit monsieur Bugolin, tandis que chacun prétend conserver cette révélation pour soi. Cette historiette est tirée de la Vie de Polichinelle, romancée par Octave Feuillet en 1846. Elle illustre l’expression populaire que nous utilisons : « un secret de Polichinelle » qui tire son origine du XVIe siècle. Nous vous expliquons ici en détail son histoire. Bonne lecture !
Définition de l’expression « secret de Polichinelle »
L’expression « secret de Polichinelle » est une locution nominale familière servant à décrire une situation cocasse lors de laquelle tout le monde détient une information faussement tenue secrète. « Quand on veut parler d’une chose que tout le monde sait, on dit vulgairement : “C’est le secret de Polichinelle” », explique le dictionnaire Larousse dans l’édition de 1866-1877.
« Un secret de Polichinelle est connu de tous mais cette connaissance n’est pas partagée. Les détenteurs du secret de Polichinelle ne manifestent pas librement la connaissance qu’ils ont et, par conséquent, ils ignorent le niveau de connaissance des autres », complète de son côté Wikipédia. Ainsi, un secret de Polichinelle est quelque chose en apparence secrète mais qui est en réalité sue de tout le monde.
Origine de l’expression « secret de Polichinelle »
Dans cette expression, le mot Polichinelle s’écrit avec une majuscule car, avant d’être utilisé en tant que un nom commun, il désigne un personnage type de la Commedia dell’arte – une forme de comédie populaire née en Italie au XVIe siècle. La caractéristique de ce « théâtre interprété par des gens de l’art » est de mettre en scène des personnages types, stéréotypés, dans des situations burlesques. Ces personnages munis de leurs mimiques caricaturales et de leur masque, nous les avons déjà croisés : ce sont Arlequin, Scapin, Pierrot, Colombine, Matamore ou encore… Polichinelle.
Traditionnellement affublé de deux bosses (une sur le dos, une sur le ventre), pitre par nature, parfois méchant, souvent grossier, Polichinelle s’est construit une solide réputation depuis la naissance dans les farces napolitaines. Son nom est tiré de l’italien Pulcinella, venant lui-même du latin pullicenus, signifiant « poussin » puis « jeune homme timide, maladroit ».
L’Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts (Paris, 1833-1844) nous fournit le détail de l’évolution du personnage :
Le nom de ce masque italien vient d’un certain paysan de Sorrente, contrefait, mais de bonne humeur, qui, vers le milieu du XVIème siècle, apportait ses poulets au marché de Naples qu’il égayait de ses saillies. Après sa mort, on eut l’idée de transporter ce personnage sur le théâtre pour l’amusement du peuple, et il obtint un grand succès. Suivant une autre version, une troupe d’acteurs étant venue à Acerra, à l’époque des vendanges, fut accueillie par les sarcasmes des paysans qui se livraient aux folies de ce temps de joie; les acteurs remarquèrent surtout les bouffonneries d’un certain Pulci d’Aniello, et parvinrent à l’engager dans leur troupe. Il parut sur la scène avec une large robe blanche, de longs cheveux, et il plut tellement aux Napolitains qu’à sa mort il fallut trouver un autre Pulcinello. (…) Ce n’est pas tout-à-fait là le polichinelle que nous connaissons, à la double bosse, au nez particulier, au vaste chapeau tricorne, aux jambes grêles avec de gros sabots, au vêtement multicolore, qui amuse la foule dans sa petite baraque, où, armé d’un bâton, il frappe à son tour sa femme, le commissaire, le gendarme (quelquefois même un malheureux chat), qu’il assomme successivement, jusqu’à ce que le diable parvienne à s’emparer de lui.
Encyclopédie des gens du monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts
Le personnage devient donc fameux pour ses tours et ses farces, notamment sa maligne tendance à divulguer un secret, comme nous le racontait l’histoire d’Octave Feuillet en introduction de cet article (que vous pouvez d’ailleurs consulter sur le site de la Bnf en accès libre, le récit vaut le détour).
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Pour aller plus loin : le personnage de Polichinelle a une riche histoire au coeur du théâtre, il apparaît ainsi dans certaines pièces de Molière (dans Psyché, en 1671 et dans Le Malade imaginaire, en 1673) pour finir sur les planches des spectacles de marionnettes et devenir aujourd’hui une véritable référence (vous connaissez aussi l’expression « avoir un Polichinelle dans le tiroir » qui signifie « être enceinte »), comme en atteste la comparaison employée dans l’extrait cité ci-contre par Marcel Proust :
Quand j’arrivai au bureau de porte, ma grand-mère m’avait déjà demandé ; j’entrai dans la cabine, la ligne était prise, quelqu’un causait qui ne savait pas sans doute qu’il n’y avait personne pour lui répondre car, quand j’amenai à moi le récepteur, ce morceau de bois se mit à parler comme Polichinelle ; je le fis taire, ainsi qu’au guignol, en le remettant à sa place, mais, comme Polichinelle, dès que je le ramenais près de moi, il recommençait son bavardage.
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu.
Pour aller encore plus loin : l’expression a connu ses variantes, aujourd’hui disparues : on disait aussi un « secret de comédie ». Et en patois lyonnais, le dicton « Secret de la Liauda » est aussi un équivalent au « secret de Polichinelle », un « secret que tout le monde sait », à en croire le Dictionnaire étymologique du patois lyonnais (Tisseur, 1827-1895). « Du nom de Liauda, au sens d’imbécile », explique encore le dictionnaire.
Exemples d’usage de l’expression « secret de Polichinelle »
Sa liaison est publique (…). C’est le secret de Polichinelle.
Émile Augier, Les Effrontés, 1861
Ils avaient appris par le télégraphe que Louis-Philippe était dégommé. Maintenant, c’est le secret de polichinelle. Ces galonnés qui ont tous des blasons brodés sur la chemise, il faut voir comment ils se mettent à courir d’un côté et d’autre. D’autant plus que ça va être un feu de poudre, pour peu qu’on se donne le mot.
Jean Giono
[…] ce que boivent les agents du fisc, le hobby des généraux dans les colonies, le mauvais esprit du consommateur algérien, la filière suisse et ses relais sétifiens n’avaient plus de secrets pour moi. Le tout raconté à la mode algéroise, un brouet dénué de subtilité formé d’un tiers de secrets de Polichinelle, un tiers de tartes à la crème et un tiers de sous-entendus hilarants à faire pleurer un éléphant.
Boualem Sansal, L’enfant fou de l’arbre creux
C’était la première fois que Santos Iturria et Demoisel faisaient allusion, devant nous, à leurs équipées nocturnes. Pourtant, c’était le secret de Polichinelle !
Valery Larbaud, Fermina Márquez, 1911
Ces rapports étaient d’ailleurs, depuis longtemps, le secret de Polichinelle et on en commentait les principaux paragraphes dans les salles de rédaction.
Léon Daudet, Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux, 1932
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Merci, ces expressions me servent assez bien.