Y avoir péril en la demeure : définition et origine de l'expression
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Aimer sans mesure la langue française et louer tous les jours son génie ne sont pas choses aisées lorsque l’on tombe sur des expressions telles que « y avoir péril en la demeure ». On comprend pourquoi certains étrangers se lamentent sur leur grammaire en hurlant à la torture. Cette expression est le parfait exemple de la sournoiserie de la langue française lorsqu’il s’agit, notamment, de polysémie.
Vous avez toujours cru que « demeure » désignait ici la maison ? Oubliez tout ce que vous croyez connaître de cette expression, nous vous expliquons ici son sens et son origine. Bonne lecture !
Définition de l’expression « y avoir péril en la demeure »
L’expression « y avoir péril en la demeure » est une locution verbale d’abord utilisée dans le domaine du droit pour signifier qu’il y aurait un danger à rester inactif, à ne pas réagir (exemple dans le Code Civil : « Il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure », Code civil, 1804, art. 1991, p. 358).
Par extension, au sens figuré et par analogie, elle signifie que l’on se trouve dans une situation critique où il est urgent d’agir. Le Cnrtl donne la définition suivante à l’expression : « Le moindre retard peut causer du préjudice ».
Notons, par ailleurs, que l’expression peut s’utiliser au négatif. Si la conjoncture dans laquelle on se trouve ne nécessite aucune action, on dire qu’il « n’y a pas péril en la demeure ». Elle aurait pour équivalent l’expression française : « Il n’y a pas le feu ».
Origine de l’expression « y avoir péril en la demeure »
Afin de comprendre l’expression « y avoir péril en la demeure », il faut s’attarder tout d’abord sur la signification du terme « demeure » qui, ici, ne désigne pas la « maison » mais le fait de demeurer quelque part. Ce substantif du verbe français « demeurer », quelque peu vieillot, a en effet conservé un sens oublié aujourd’hui qui est celui du retard. Le Cnrtl le définit comme le « fait de tarder à faire quelque chose ».
L’expression nous semble héritée du XVIIe siècle, mais le Cnrtl indique que l’on trouve l’usage de la sentence « estre en demore » dès 1273 pour signifier « être en retard pour s’acquitter d’une obligation » (Cartulaire de l’évêché d’Autun, A. de Charmasse).
Enfin, si l’on s’attarde sur l’ancêtre latin du verbe « demeurer », on saisit d’autant mieux le sens de « retard » qu’a ensuite pris le terme « demeure ». Il nous vient à l’origine du verbe latin « demorari », lui-même dérivé du verbe « demoror » (« tarder », « rester »). L’équivalent du substantif « demeure » serait le mot latin « mora », que l’on traduirait par « le retard », « le délai ».
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L’expression française « y avoir péril en la demeure » serait ainsi empruntée à l’expression latine « periculum in mora » qui, déjà au début du précédent millénaire signifiait dans le domaine légal : « y avoir du danger dans le retard ».
Pour aller plus loin : dans le domaine juridique, le terme de « demeure » est aussi utilisé dans une autre expression : « mettre en demeure », qui fait elle aussi référence au terme latin « mora » et signifie : « faire, par sommation ou autrement, qu’une personne soit avertie que le terme où elle doit remplir une certaine obligation approche ou est passé, en sorte qu’elle ne puisse en alléguer l’oubli ou l’ignorance ».
Exemples d’usage de l’expression « y avoir péril en la demeure »
Je vois péril en la demeure
Emile Augier, Diane, 1852
Et je vais sur-le-champ aviser nos amis
De fuir
La permission dont il s’agit, ne s’accorde que sur des motifs plausibles, dans les cas où il y a péril en la demeure, c’est-à-dire, si le retard porte atteinte aux droits du demandeur.
P. Lepage, Nouveau style de la procédure civile dans les cours d’appel, Hacquart, 1806
Au reste, lors même que l’on pourrait prouver par écrit, comme il a été dit, que l’obligé a refusé de satisfaire à son obligation, s’il n’y a pas péril dans la demeure il convient, par bienséance, de le mettre en demeure par une sommation.
Pierre B. Bouche, Traité de la procédure civile et des formalités des tribunaux de commerce, 1808)
Je pris le parti de n’en rien faire. Il n’y avait pas urgence ni péril en la demeure. On verrait bien demain.
Maurice Pons, Douce-amère
Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure, allons vers l’autre monde en flânant en chemin !
Georges Brassens, Mourir pour des idées, 1972
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