Se mettre la rate au court-bouillon : définition et origine de l’expression
Sommaire
Quelle drôle d’expression… ! Pourquoi associer la rate, organe essentiel de l’être humain, au court-bouillon, mode de cuisson issu de la gastronomie française ? Pourtant, cette expression est loin d’avoir un rapport avec la cuisine.
Il faut remonter loin dans le temps et s’intéresser au discours des savants médecins de l’Antiquité pour comprendre une partie de l’expression.
Passée du langage argotique au langage courant, l’expression « se mettre la rate au court-bouillon » est aujourd’hui très utilisée. Nous vous donnons ici toutes les explications pour l’employer correctement et au bon moment. Bonne lecture !
Définition de l'expression « se mettre la rate au court-bouillon »
L’expression « se mettre la rate au court-bouillon » signifie « se faire du souci ». Quand une personne est excessivement inquiète ou stressée, elle peut entendre « Ne te mets pas la rate au court-bouillon ! ». Ce qui est une manière de la rassurer en l’invitant à relativiser.
Souvent utilisée à la forme négative, elle signifie aussi à l’autre qu'il exagère en s’angoissant inutilement. On pourrait lui dire « Ne te mets pas dans tous tes états pour rien ! Ne t’inflige pas cela ! ».
Deux termes essentiels composent cette expression : rate et court-bouillon.
La rate, nom féminin, représente bien l’organe abdominal et non pas la femelle du petit rongeur mal aimé. Spongieuse et molle, elle est de la taille d‘un poing d’adulte, située sous le diaphragme et à gauche de l’estomac. Le rôle de la rate est très important puisqu’elle a pour mission de filtrer le sang et de le purifier.
Quant au mot court-bouillon, il s’agit d’un mode de cuisson bref réservé aux poissons, viandes et légumes, qui consiste à pocher ces aliments dans un liquide aromatisé et assaisonné.
Inscrivez vous au Parcours Expressions & Proverbes
Découvrez chaque mercredi la signification et l'origine d'une expression ou proverbe francophone.
Maintenant que ce petit point de vocabulaire est fait, découvrons l’histoire de cette étrange expression.
Origine de l'expression « se mettre la rate au court-bouillon »
Cette expression, apparue dans le courant du XXe siècle, reste malheureusement assez mystérieuse et son origine (pour la seconde partie de l’expression) n’est pas très claire. Ce serait Frédéric Dard, alias San Antonio, qui l'aurait utilisée en premier dans un ouvrage paru en 1965, portant le titre La rate au court-bouillon.
Je ne pouvais pas imaginer qu'un jour je verrais un spectacle pareil ! Bérurier évoluant parmi l'élite mondiale, cohabitant avec tout ce que la Terre a pu produire comme rois, reines, présidents, milliardaires, sommités artistiques... Je vous jure qu'il faut avoir vu ça au moins une fois dans son existence ! Et si tout ce gratin (dont nous étions) n'avait pas été à deux doigts de l'anéantissement atomique, j'aurais ri, mais ri, à m'en mettre la rate au court-bouillon !
San Antonio, La rate au court-bouillon
En 1970, les écrivains Alphonse Boudard et Étienne Luc ont cité cette expression dans La méthode à Mimile - l'argot sans peine, ouvrage conçu comme un dictionnaire argotique.
Pour comprendre un peu mieux l’histoire de la rate, il faut remonter assez loin.
Les médecins de l’Antiquité ont toujours associé la rate à l’humeur. Cet organe serait à l’origine de la mélancolie et de l’anxiété, selon la théorie des humeurs de l’être humain, fondée par Hippocrate. Ce dernier émet l’idée selon laquelle notre façon d’être, de ressentir, de penser et d’agir serait affectée par le déséquilibre des humeurs, qui sont en fait des substances au nombre de quatre : la bile noire, la bile jaune, le sang et la lymphe.
La bile noire, appelée également atrabile, est un liquide froid et sec sécrétée par la rate et, en cas d’excès, gare à la tristesse et la mélancolie, voire la dépression, car l’humeur fait défaut !
D’ailleurs, le mot mélancolie, apparu au XVIIIe siècle, vient du grec melankholia, composé de melas pour « noire » et de kholê pour « bile ». De même que le mot anglais spleen dérivé du grec splên désigne la « rate », faisant écho au spleen baudelairien exprimé dans le recueil des Fleurs du Mal.
Et ses yeux disent : « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant, je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire !
Charles Baudelaire, Le spleen de Paris
La rate est ainsi progressivement devenue le symbole des humeurs. L’expression « se dilater la rate » signifie « rire de bon cœur » alors qu’on se « décharge la rate » pour exprimer sa colère.
En ce qui concerne l’association de cette triste rate avec le court-bouillon, rien n’est sûr et l’expression « se mettre la rate au court-bouillon », plutôt familière, est à rapprocher d’expressions telles que « se faire du mauvais sang », « se faire de la bile » ou encore « se faire un sang d’encre ».
Exemples d'usage de l'expression « se mettre la rate au court-bouillon »
Et Mamdani, qui n’entendait que pouic dans l’art de la conversation quand il avait la tête farcie par le gris de Médéa, de se mélanger les pinceaux, de se mettre la rate au court-bouillon, de beugler à nouveau ou de pleurer à chaudes larmes. Il ne savait plus où donner de la tête et de la voix.
Abdourahman A. Waberi, Les soleils d’Azwaw
La circulation est à peu près fluide. Cela n’empêche pas quelques Parisiens survoltés d’user leurs nerfs sur les phares et le klaxon, qu’ils tamponnent d’un poing rageur. Yves les regarde s’agiter dans leurs caisses à roulettes comme s’il découvrait des Martiens.
Évane Hanska, Le crime du Père-Lachaise
— Se passer la rate au court-bouillon pour gagner trois minutes, faut vraiment être taré…
Guettant sa réaction, je lui disais de ne pas se mettre comme ça la rate au court-bouillon : « Je frappe du pied et les millions dégringolent ! » Que son expression scandalisée était irrésistible !
Anne Vernon, Hier, à la même heure.
Le boxer bondissait. Ben alors mon gros père, on a la rate au court-bouillon ? Je montrais les dents, M. Breton faisait claquer son chewing-gum, qu'est-ce qu'on s'amusait.
Marie Nimier, La caresse
N’hésitez pas à parcourir les autres articles de cette section dédiée aux expressions francophones