« Abîme » ou « abyme » ?
« Le cinéaste filme l’abîme puis la mise en abyme commence. »
Certains mots de la langue française s’écrivent avec un « i », d’autres avec un « y », pour former le son [i]. Parfois, il existe une confusion historique entre l’usage de l’un ou de l’autre. Faut-il écrire « abîme » ou « abyme » ? Découvrez nos explications dans cet article. Bonne lecture !
On écrit « abîme » ou « abyme » ?
On écrit « abîme » : le mot « abîme » vient du latin abismus et désigne un gouffre très profond et par extension l’écart qui peut séparer des personnes, des idées ou des choses. On l’écrit toujours (sauf pour une exception, voir plus bas) « abîme » avec un accent circonflexe, ou selon la nouvelle orthographe de 1990 « abime ».
Son orthographe a évolué au fil de l’histoire. Au XIIe siècle, plusieurs orthographes coexistent : abysme, abisme. Au XIVe siècle, on trouve les formes suivantes : abesme, abisme. S’ensuivent des débats sur l’usage ou non du « i » à la place du « y ». Ronsard, notamment, milita dans son Abrégé de l’Art poétique pour le remplacement du « y » par le « i » dans certains mots comme « abîme ». Il faut attendre le Dictionnaire de l’Académie française de 1798 pour que l’orthographe « abîme » soit consacrée par les immortels. Mais encore au XIXe siècle, des auteurs comme Victor Hugo utilisent l’orthographe « abyme » :
Hélas ! les larmes d’une femme,
Victor Hugo, Les chants du crépuscule, 1836
Ces larmes où tout est amer,
Ces larmes où tout est sublime,
Viennent d’un plus profond abyme
Que les gouttes d’eau de la mer !
En 1990, la réforme de l’orthographe propose de supprimer l’accent circonflexe par soucis de simplification.
On écrit encore « abyme » pour un seul cas : le nom « abyme » avec un « y » s’emploie encore dans une seule locution : « la mise en abyme ». C’est le domaine de l’art et notamment du cinéma qui a remis au goût du jour cette orthographe tombée en désuétude pour désigner le fait d’enchâsser des éléments récurrents les uns dans les autres. André Gide est à l’origine de cette expression pour décrire le procédé utilisé dans Les faux-monnayeurs. Il écrit ainsi dans son Journal en 1893 :
J’aime assez qu’en une œuvre d’art on retrouve ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à mettre le second en abyme.
André Gide, Journal
Le Grevisse remarque que certains auteurs choisissent malgré tout d’écrire cette expression avec un « i » :
Il s’agit de ces singuliers Mémoires de Maigret , où l’écrivain [= Simenon] cède la plume à son personnage majeur et lui permet de raconter comment son créateur a fait de lui une figure de fiction. Inversion savoureuse, mise en abîme imprévue, où l’auteur […] se donne à voir et se trahit à travers sa création.
Jacques Dubois, Romanciers du réel de Balzac à Simenon, p. 318
L’analyse de l’usage des deux formes montre bien que « abîme » est bien plus utilisé aujourd’hui que « abyme » :
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Exemples d’usage des mots « abîme » et « abyme »
[…] mais il y avait dans le gouffre qu’il enjambait une telle phosphorescence de glace, de rocs blêmes et d’abîmes, que le pont entièrement en fer était visible jusqu’au plus petit croisillon.
Jean Giono, L’Oiseau bagué
A peine peut-on dire très généralement qu’elles sont plus bêtes que nous. Mais ceci mis à part, elles sont comme les hommes. Pourquoi voulez-vous qu’une petite différence de sexe, crée cet abîme entre elles et nous.
Jean-Paul Sartre, Écrits de jeunesse
Un abîme s’ouvre à cet endroit. Tout est englouti. Je passe au ras du précipice.
Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit
Mon coeur aussi de l’atteinte soudaine
Paul Jean Toulet, Les Contrerimes
D’un regard lancé.
Hors de l’abyme où le temps nous entraîne,
T’évoquerai-je, ô belle, en vain ô vaines
Toinette imite les médecins que nous avons vus précédemment; or ces médecins nous apparaissent déjà comme des caricatures qui exercent moins une profession qu’ils ne jouent un rôle. Son travestissement agit donc comme une mise en abyme du rôle de médecin. Cette mise en abyme, comédie à l’intérieur de la comédie, qui réactive le vieux procédé baroque du théâtre dans le théâtre, attire notre attention sur la théâtralité […]
Molière, Le Malade imaginaire, Dossier, La Bibliothèque Gallimard
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Une faute d'orthographe à signaler, dans la huitième ligne après le titre de paragraphe "On écrit « abîme » ou « abyme » ?" :
le verbe s'ENSUIVRE s'écrit EN UN SEUL MOT.