« bâiller », « bailler » ou « bayer » ?
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« J’ai envie de bâiller mais je ne veux pas donner l’impression de bayer aux corneilles. »
Lors d’une discussion avec un proche, celui-ci m’affirmait que « bâiller » s’écrivait en fait « bayer » avec un « y » ! J’ai donc décidé d’étudier ce cas orthographique précis ainsi que ses homophones, afin de pouvoir enfin exprimer correctement notre fatigue suite à une longue journée de labeur. Faut-il écrire « bâiller », « bailler » ou « bayer » ? Voici la réponse. Bonne lecture !
On écrit « bâiller », « bailler » ou « bayer » ?
On écrit « bâiller » : lorsqu’il s’agit d’évoquer le bâillement par son verbe, on écrira « bâiller » sans « y ». « Bâiller » avec un accent circonflexe signifie (source) « ouvrir involontairement la bouche en inspirant et en contractant les muscles du gosier » ou, par analogie, « être ouvert, béant, mal ajusté ». Attention, l’accent circonflexe est sur le « a » et non sur le « i ».
Exemples :
- Je commence à bâiller après minuit car je suis fatigué.
- Après un premier bâillement, j’ai besoin de bâiller à nouveau.
- Le col de cette chemise bâille (dans le sens « est mal ajusté »).
- La fenêtre bâille.
Qui me rendra les sons de la cloche qui sonnait hier, au crépuscule, et le gazouillement des oiseaux qui chantaient ce matin dans les chênes ! Et pourtant je m’ennuyais au coucher du soleil et je bâillais de fatigue à son aurore !
Flaubert, La 1reÉducation sentimentale,1845
Leur ceinture retenait mal un pantalon fait pour des bretelles. Chaque dix mètres ils le relevaient, repassaient le devant sous la ceinture, laissant le derrière bâiller, avec cette toujours petite encoche triangulaire et les deux boutons destinés à la bretelle.
Jean Genet, Querelle de Brest
On écrit « bailler » : « bailler » sans accent circonflexe est un terme à l’usage vieilli qui signifie « donner » (voir toutes les définitions). Il est dérivé aujourd’hui du « bail » et du « bailleur » à propos d’un contrat de location, ou du « bailleur de fonds » (personne qui finance un projet).
Exemples :
- Justine me l’a baillé bonne (vieille expression signifiant « chercher à faire accroitre »).
- Elle me l’a bailler belle (dans le sens « chercher à me tromper »).
- Selon ce contrat, le vendeur lui a baillé la maison (dans le sens « lui a donné la maison »).
Tous les ans, elle renouvelait solennellement ses vœux, et, au moment de faire serment, elle disait au prêtre : Monseigneur saint François l’a baillé à monseigneur saint Julien, monseigneur saint Julien l’a baillé à monseigneur saint Eusèbe, monseigneur saint Eusèbe l’a baillé à monseigneur saint Procope, etc., etc. ; ainsi je vous le baille, mon père.
Victor Hugo, Les Misérables
Anselme, j’ai jeté les yeux sur toi pour fonder une maison de commerce de haute droguerie, rue des Lombards, dit Birotteau. Je serai ton associé secret, je te baillerai les premiers fonds.
Balzac, César Birotteau, 1837
On écrit « bayer » : « bayer » est souvent confondu avec « bâiller » car son sens en est très proche. Il signifie en effet (source) « rester la bouche ouverte, être bouche bée, s’étonner »… ce qui est la position physique lorsqu’on bâille ! Ce terme vieilli n’est cependant plus qu’utilisé dans l’expression « bayer aux corneilles » qui signifie « perdre son temps en regardant niaisement en l’air, rêvasser ».
Exemples :
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- Je n’ai fait que bayer aux corneilles aujourd’hui.
- Il bayait d’admiration devant les danseuses.
M. de Guitaut m’envoya une cassette de ce qu’il a de plus précieux ; je la mis dans mon cabinet, et puis je voulus aller dans la rue pour bayer comme les autres…
Madame de Sévigné, Lettre à Madame de Grignan, 20 février 1671
L’ostracisme qui pesait sur elle… dégager sa responsabilité… une fille qui a jeté son bonnet par-dessus les moulins ! … qui baye aux grues… qui, naguère encore… tenait le haut du pavé…
Villiers de L’Isle-Adam, Contes cruels, 1883
Attention à bien l’écrire avec un « y ». Selon Félix Biscarrat dans son Nouveau manuel de la pureté du langage (1835), bien que la forme bailler aux corneilles puisse se comprendre dans le sens de « faire quelque chose d’aussi niais que de prêter de l’argent aux corneilles », elle est erronée :
Bayer aux corneilles. Ne dites pas bailler aux corneilles.
Félix Biscarrat, Nouveau manuel de la pureté du langage, 1835
Origine de l’expression « bayer aux corneilles »
Quelle est cette histoire de corneilles me direz-vous ! Au XVIIe siècle l’expression « bayer aux corneilles » se disait « bayer aux grues ». L’idée était de désigner la futilité de la corneille en tant que proie pour les chasseurs. « Corneille » désigne en effet un petit oiseau qui n’a pas de valeur pour le chasseur tant il est petit.
« Corneille » désigne également de façon dépréciative le fruit du cornouiller dont la saveur est peu appréciée et donc de peu d’intérêt. Ainsi, « bayer aux corneilles » pourrait signifier « perdre son temps en regardant une chose aussi insignifiante que l’est la corneille pour le chasseur » ou « le fruit du cornouiller pour l’amateur de fruits ».
Voici quelques exemples de cette expression dans la littérature avec une variante :
La plupart des gens de province ne se rendent évidemment pas un compte exact des procédés que les gens illustres emploient pour mettre leur cravate, marcher sur le boulevard, bayer aux corneilles ou manger une côtelette.
Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844
Cet abbé Plomb, il a l’air d’un sacriste effaré ; il bâille à l’on ne sait quelles corneilles ; et il semble si mal à l’aise, si jean-jean, si gauche…
Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale, 1915 (variante)
Pour en savoir plus, vous pouvez lire notre article dédié à cette expression.
J’espère que cet article vous a laissé bouche bée et que vous n’avez pas bâillé d’ennui à sa lecture ! Vous connaissez désormais les différences entre « bâiller », « bayer » et « bailler ». N’hésitez pas à consulter les autres articles d’orthographe.
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«Il ne faut pas bayer aux corneilles» était l’une des expressions de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, lorsqu’il voulait encourager quelqu’un ou l’inciter à quelque entreprise.
Je viens d’apprendre ça dans le roman Humiliés et offensés, traduit par Sylvie Luneau.